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15/04/2009

Madeleine Lommel n'est plus...

       J'ai lu en cherchant ce qui pouvait se trouver sur la Toile au sujet de Madeleine Lommel les voeux d'un blogueur qui souhaitait à cette dernière, au début de l'année, de ne pas refuser la paix si elle s'offrait à elle en 2009. Propos devenus ces jours-ci étrangement ambigus. Madeleine l'a de fait trouvée cette paix, malheureusement pour l'éternité... Et c'est une part de miracle qui s'en est aussi allé avec elle.

Château-Guérin, Neuilly-sur-Marne.jpg
Le Château-Guérin à Neuilly-sur-Marne, ancien siège de la collection l'Aracine de 1984 à 1997

      Sacrée bonne femme... Le Château-Guérin, à Neuilly-sur-Marne en sera désormais hanté. C'est dans ce bâtiment prêté à l'association l'Aracine par la mairie que Madeleine Lommel, Claire Teller et Michel Nedjar commencèrent d'abriter en dur la petite collection d'art brut qu'ils avaient déjà exposée en 1982 (leur première exposition, où j'étais allé, avait eu lieu dans une maison de la culture à Aulnay-sous-Bois, elle s'intitulait "Jardins barbares"; elle fut suivie d'une autre en 1983 dans une salle d'exposition éphémère du Forum des Halles à Paris). 1984 fut l'année d'ouverture du petit musée de Neuilly-sur-Marne. On y fit nombre de découvertes, Robillard venait déjà avec son accordéon, j'y rencontrai Gaston Mouly, Maugri, dans les premiers temps, lorsqu'il n'était pas rare de rencontrer des auteurs d'art brut en chair et en os (car cela se fit plus rare au fil du temps). Toutes sortes de mordus de l'art brut, écrivains, collectionneurs, amateurs désargentés, entremetteurs divers, artistes, libraires, etc, venaient faire un tour aux vernissages. Les trois fondateurs de l'Aracine, dont Madeleine était à l'évidence l'âme (lame?) décisive, eurent le mérite de créer ce lieu, ce foyer de rencontres autour d'une source de création secrète, clandestine, qui permettait d'aider à vivre au milieu des eaux froides du calcul égoïste.

Verso-carte-adhérent-Aracin.jpg

      Certes, elle était connue pour son caractère difficile. Je me rappellerai toujours à quel point elle règnait en maîtresse absolue sur son petit royaume de Château-Guérin, se servant parfois des aides bénévoles comme de vulgaires kleenex... Elle avait sa vision de l'art brut, moins déconnectée vis-à-vis de ses racines populaires que dans les théories de Dubuffet et Thévoz, ce qui aida à ce que je ne perde pas le contact avec elle le temps passant, l'internet, avec ses distances, permettant des relations plus attentives avec de tels personnages, davantage que les contacts directs. Elle avait été ouvrière, dans la coiffure, à ce qui avait été écrit dans la petite brochure éditée pour Les Jardins barbares (l'expo d'Aulnay-sous-Bois). Et ses opinions politiques se portaient plutôt vers les communistes. Etait-ce pour ces raisons que son coeur penchait aussi vers les gens de peu, et croyait à leur rédemption par la grâce de la création sauvage? Sans doute...  elle avait un faible pour les vieillards en particulier, allant jusqu'à imaginer un art sénile, aux styles caractéristiques. Elle-même dessina durant un temps, mais il semble qu'elle abandonna par la suite (à vérifier cependant), touchée par des critiques qui lui avaient fait remarquer la proximité de ses dessins avec ceux de Madge Gill. Cela peut paraitre fondé en regardant ce dessin que j'ai gardé d'elle, tel qu'il figurait au recto de la carte d'adhérent à l'association l'Aracine (les cartes comportaient plusieurs dessins variés que les adhérents choisissaient).

Madeleine-Lommel,-dessin-re.jpg
Madeleine Lommel, dessin sans titre au recto d'une carte d'adhérent de l'association l'Aracine (années 80)

      Elle aura réussi, avec tous ceux qui aidèrent à la constitution, à l'animation et à la conservation de la collection de l'Aracine, l'immense exploit d'avoir pu faire entrer une collection d'art brut dans un musée français (il semble que ce fut par l'entremise d'Henri-Claude Cousseau), ce qui constitua pour elle une revanche sur le départ mal digéré de la collection de Jean Dubuffet pour la Suisse. L'Etat français est en effet resté d'une cécité confondante à l'égard de l'art brut, ainsi que des autres arts populaires (voir par exemple les avatars des collections des défunts ATP reconvertis en MuCEM à Marseille où elles n'en finissent pas de végéter en attendant que leur usine à gaz soit enfin construite dans dix mille ans...).

      Rien que pour cela, nous ne l'oublierons pas.

Claude, Clovis Prévost, Chomo, André Robillard...

Programme art à la marge, film des Prévost à l'Utopia à St-Ouen-l'Aumône, 24 avril 2009.jpg

      Oyez, oyez, oyez... Pour ceux qui aimeraient voir en vrai sur grand écran les films de Claude et Clovis Prévost sur Chomo et André Robillard (quelle actualité pour ce dernier...), il faudra aller le 24 avril au cinéma Utopia de St-Ouen-L'Aumône. Deux films sur Chomo (qui fera l'objet d'une exposition aux alentours de l'automne - à partir du 10 septembre exactement - à la Halle Saint-Pierre, l'avez-vous noté sur leur site?) et un sur André Robillard, dont j'ai déjà mis sur ce blog quelques images en ligne. Il paraît que le cinéma est tout proche de la gare. Cette programmation va de pair avec une exposition intitulée "L'Art à la Marge" où l'on retrouve Michel Nedjar, Francis Marshall et plusieurs créateurs venus apparemment d'Art en Marge et autres ateliers d'art pour personnes atteintes de divers handicaps et incapacités (la Pommeraie entre autres), mais aussi des artistes contemporains moins connus que les deux ci-dessus cités et sans rapport avec l'art brut apparemment...

2 films des Prévost à l'Utopia de St-Ouen-l'Aumône, 24 avril 2009.jpg

12/04/2009

André Robillard parmi nous, et puis Gérard, Lucienne et Roger dans la bibliothèque...

     André Robillard, on peut le toucher, on ne nous l'a pas encore embaumé,André Robillard au musée de la création franche, Bègles, avril 2009, ph.Michel Leroux.jpg enfoui sous un tas de cotes, d'attitudes vitrifiantes marchandes ayant pour inévitables corollaires la réification des artistes et de leur geste vivante.

      C'est un brut de décoffrage tout ce qu'il y a de plus agissant et palpitant. Ceux qui l'approchaient, l'autre week-end à Bègles pour le vernissage de son exposition courant jusqu'au 19 avril prochain, ne savaient pas toujours comment se comporter vis-à-vis de lui. Cela tournait parfois au spectacle du montreur d'ours, sans qu'il y ait pourtant de montreurs en l'occurrence, en tout cas surtout pas les deux animateurs de la compagnie des Endimanchés, Alexis Forestier et Charlotte Ranson qui jouent avec lui la pièce "Tuer la misère",Carton d'invitation au spectacle monté au TNT-manufacture de chaussures à Bordeaux.jpg le soutiennent, créent avec lui (comme me l'a confié Charlotte Ranson entre deux paravents d'exposition, certaines oeuvres présentées sur les scènes de leurs performances à mi chemin du rock alternatif, du théâtre, de la poésie sonore et de l'art brut, ayant été réalisées en commun, ce qui va de pair avec leur création théâtrale actuelle, création elle aussi éminemment collective). On lui demandait l'inévitable couplet à l'harmonica, de psalmodier le langage martien ("chiop, chiop, chiop...")...

       Placé dos à dos avec lui au repas d'après vernissage, je lui demandai, pour changer de ces prestations un peu trop commandées, s'il avait entendu parler d'Hélène Smith qui comme lui prétendait pouvoir parler martien, mieux, pouvait même l'écrire. Je me hasardai à lui suggérer qu'il pourrait  transcrire à sa manière comme la protégée de Théodore Flournoy ce langage qu'il lui était déjà si facile de restituer à coup de chiop-chiop-chiop (c'est ainsi que je le traduis moi-même ce martien robillardisé)...

André Robillard, dessin aux feutres, expo Musée de la Création Franche, avril 2009, ph.B.Montpied.jpg
André Robillard, sur le sol lunaire..., dessin aux feutres, coll. Tuer la Misère-Les Endimanchés, expo Robillard au musée de la création franche, Bègles, avril 2009, ph.B.Montpied

      Il était là, bien campé sur ses deux jambes, les pognes formidables ballantes au bout de bras immenses, septuagénaire encore vivace, avec sa coupe de cheveux de jeune homme, sa tenue sportive (comme s'il venait de quitter son vélo) et sa disponibilité intacte à l'égard du tout venant. De plain pied avec tous ceux qui l'abordaient. Débordant d'énergie, et curieux de ce qui lui arrivait, content de voir toutes ces têtes plus ou moins nouvelles, sa mémoire paraissant assez prodigieuse puisqu'il paraissait reconnaître certains qu'il n'avait pourtant que peu rencontrés jusque là. J'eus ainsi l'illusion qu'il me reconnaissait, alors que je ne lui avais serré qu'une fois la main au Théâtre parisien de la Bastille des mois plus tôt, et encore au milieu d'une foule, et dans la fatigue d'une fin de représentation...

André Robillard, Fusil USA Rapide..., coll B.Chevillon, ph Bruno Montpied, 2009jpg
André Robillard, fusil USA rapide... (le fusil que je trouve ramolli, voir ci-dessous), coll.Bernadette Chevillon et Artimage, ph.B.M., à l'exposition consacrée à Robillard au Musée de la Création Franche, Bègles, avril 2009

     Des dessins étaient exposés, à côté des inévitables fusils dont certains étaient plus originaux que d'autres (deux gros calibres venus de la collection de Frédéric Lux par exemple, ou un comme ramolli par suite d'un traitement dalinien on aurait dit, venant de la collection de Bernadette Chevillon). Michel Boudin m'a confié avoir trouvé une inspiration d'origine populaire à l'un des dessins présentés. Il représente un "renard de la forêt d'Orléans". Michel retrouve dans ses contours la forme de ces hachoirs taillés en forme d'animaux qui ne sont pas rares aux cimaises des antiquaires spécialisés en outils populaires. Est-ce une source d'inspiration du gars André? Pourquoi pas: quand on l'entend souffler dans son harmonica, surgit le plus souvent le fantôme d'une mélodie traditionnelle, répétitive, nouée en boucle obsédante, ce qui lui assure une forme nouvelle. Robillard partage cette façon de jouer de la musique avec Pierre Jaïn, autre sculpteur de l'art brut qui lui aussi recyclait des airs traditionnels quand il s'amusait à faire de la musique.

André Robillard dessin aux feutres, expo musée de la création franche, avril 2009, ph.B.Montpied.jpg
André Robillard, Renard de la forêt d'Orléans..., dessin aux feutres, exposition robillard, Musée de la Création franche, ph B.M., 2009

       Preuve une fois de plus que la culture populaire est le substrat qui sous-tend pas mal de créations dites "brutes". Depuis la salle,  j'ai essayé de l'insérer à l'intérieur de la causerie où, le samedi 4 avril à la bibliothèque jouxtant le musée de la création franche, conférençaient Gérard Sendrey, Lucienne Peiry et Roger Cardinal. Le public intervint un peu durant cette causerie qui réunissait ces trois personnages fort contrastés. Qu'en ai-je retenu? Une phrase de Sendrey le rimbaldien, la création travaille toujours à partir de l'inconnu, jamais du connu. Lucienne Peiry insista sur l'art des enfants qu'elle n'a pas envie de tacler comme Dubuffet l'a fait (j'avoue être moi plutôt de l'avis de Dubuffet qui reprochait aux enfants leur besoin de singer la réalité, leur conformisme ; mais s'ils le font, c'est aussi sans doute par suite de la pression énorme qu'exercent les adultes sur eux à ce sujet). Roger Cardinal trouvait qu'art brut et art savant peuvent rester chacun de leur côté, c'est quelquefois pas plus mal. A un autre moment, il répéta aussi cette évidence que le poète est toujours en avance sur l'homme de science.

Roger-Cardinal braqué par Robillard, ph.Bruno Montpied et Roger Cardinal, Bègles,2009.jpg
Roger Cardinal braqué par Robillard (idée de la photo, Roger Cardinal), ph.B.M., avril 2009

        Bref, on échangea gentiment mais exclusivement sur le thème de l'art brut, personne n'ayant remarqué que le sujet initial de la causerie qui devait aborder la question de la nouveauté de la création après l'art brut  (titre original: "De l'Art Brut à l'Outsider Art et à la Création Franche, héritage et novation") avait été purement et simplement évacué... Ni Sendrey, ni Cardinal ne voulant par égard pour la conservatrice de la Collection de l'art brut signifier que la notion d'art brut aurait pu être aujourd'hui dépassée. Ou tout simplement, parce que ces protagonistes avaient conclu implicitement à la cohabitation simultanée de leurs trois "labels" (création franche pour Sendrey, art brut pour Peiry, outsider art pour Cardinal), sans possibilité de friction entre eux.

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Les trois causeurs, Gérard Sendrey, Lucienne Peiry, Roger Cardinal, Bègles, 4 avril 2009, ph.B.M.
          CD Tuer la Misère, André Robillard et les Endimanchés, 2008.jpg   Tuer la misère, verso du CD.jpg
CD de performances musicales et sonores par André Robillard (qui a fait de nombreuses illustrations pour la jaquette et les pages intérieures du livret) et le groupe des Endimanchés (Alexis Forestier, Charlotte Ranson, Antonin Rayon,etc.), éditions Opaque, enregistré en nov-déc 2008. 

     

30/03/2009

Fusils chinois rapide 6h46 et chasseurs bombardiers du rêve noir, André Robillard

   Du 28 mars au 19 avril, les sculptures d'assemblage et les dessins d'André Robillard viennent faire un tour plus conséquent que dans le passé (voir la présentation de la collection Eternod-Mermod) au musée de la création dite franche, à Bègles. Un vernissage, pardon l'inauguration, aura lieu le vendredi 3 avril, un peu confidentiel comme voudrait peut-être le suggérer ce terme d'inauguration placé là pas au hasard...

André Robillard,un dessin interplanétaire, Donation l'Aracine, LaM de Villeneuve-d'Ascq, expo les chemins de l'art brut, St-Alban-sur-Limagnole, 2007.jpg
Dessin interplanétaire de Robillard, de la donation de l'Aracine du MAM de Villeneuve-d'Ascq, pour l'expo Les Chemins de l'art brut à St-alban-sur-Limagnole en 2007 ; à signaler que la fusée fonce droit sur la "planète Vénus"... ; photo BM

   Cela a lieu en parallèle avec une autre série de représentations du spectacle Tuer la misère (voir ma note du 3 juin 2008 ) qui se tiendra à Bordeaux (au "TNT Manufacture de Chaussures", tél: 05 56 85 82 81, représentations les 7, 8 et 9 avril). Ce sera l'occasion de constater comment évolue le travail de Robillard, sur lequel j'ai entendu ces jours-ci de nombreuses rumeurs, sur des collectionneurs qui rafleraient son travail, sur une certaine excitation bref qui l'entourerait, lui dont la réputation de créateur de l'art brut ferait tourner la tête à nombre de rapaces...

Robillard devant une affiche consacrée à Lobanov, ext du film de Claude et Clovis Prévost, Visites à André Robillard,-.jpg
André Robillard, bien armé, avec l'affiche d'une expo Lobanov (avec qui il devient de la plus grande banalité de le comparer) ; extrait du film de Claude et Clovis Prévost, Visites à André Robillard, 2007 (merci pour la capture à Frédérique Michaudet) 

    Les performers du spectacle, Charlotte Ranson et Alexis Forestier, demandent régulièrement à Robillard de décorer de ses oeuvres les scènes où ils jouent, où il clame ses diatribes en langages martien ou allemand guttural burlesque. Sont-ce ces oeuvres-là aussi qui seront présentes? Peu d'oeuvres proviendront de la collection permanente du musée en tout cas (une ou deux ?). Quelques collectionneurs, dont Frédéric Lux, déjà cité ici, ou Michel Leroux, ont prêté des éléments de leurs trésors. Reste à savoir s'il n'y a pas au fil du temps (André Robillard crée ses fusils et autres  depuis les années 60), comme dans le cas d'autres créateurs qui n'arrivent pas toujours à faire face à la demande trop pressante des "clients", une dévitalisation et une tendance à l'inachèvement embryonnaire des oeuvres de la part de cet étonnant créateur qui reste une véritable force de la nature (toujours solide malgré ses soixante-dix ans dépassés).

Invitation à l'exposition André Robillard au musée de la création franche, 2009.jpg
 Ce fusil d'André Robillard me paraît un peu bâclé comparé à ceux qui sont faits d'assemblages de matériaux récupérés qui ont fait sa célébrité (voir l'image précédente) ; le créateur se presse-t-il trop? Un collectionneur rencontré récemment m'a raconté que certains lui fourniraient des vraies crosses de fusils pour qu'il puisse confectionner plus vite ses oeuvres... Ce qui est le meilleur moyen de détruire la cote future de ces oeuvres vite faites mal faites...

 

24/03/2009

Macrévives et Boixau (Macréau et Boix-Vives)

     Ce soir, vernissage à la Halle St-Pierre, rue Ronsard, 18e ardt, Paris, des expositions Macréau et Boix-Vives (à partir de 18h comme d'habitude). En douce un autre vernissage qui a attendu ce même soir pour être officialisé, afin de profiter on l'espère de la foule des grands jours, de l'autre petite expo de la Galerie du hall d'entrée, A chacun son dessin. Effectivement, il est légitime d'attendre la grande foule, Macréau et Boix-Vives sont deux immenses peintres, chacun dans leur genre bien distinct. Macréau c'est une sorte de Picasso graffiteur, un Picasso graphiste qui se serait emparé en contrebande de pinceaux. Boix-Vives, c'est un immense candide, candide jusqu'à la violence la plus absolue (il avait, paraît-il, des colères éruptives), amoureux de la couleur où il se roulait avec une gourmandise inspirée par une grâce venue d'on ne sait où, mais si on le sait, du fond de son être prodigieusement sage, équilibré, du bout de ses doigts soudaineement aimantés. Confiant dans ses pouvoirs au point de croire qu'il pourrait résoudre tous les problèmes de l'humanité grâce à de simples brochures où il traçait ses plans sur la comète pour la paix et l'harmonie dans le monde.

   Je ne m'étends pas plus sur la question, il existe déjà pas mal de livres sur lui, notamment celui de Marie-Caroline Sainsaulieu aux éditions Acatos, et celui de Jean-Dominique Jacquemond à La Différence, sans compter les catalogues sur Boix-Vives et Macréau édités por l'occasion par la Galerie Margaron, galerie qui prête les oeuvres exposées, semble-t-il...

Anselme Boix-Vives,annonce de l'exposition de la Halle Saint-Pierre, 2009.jpg

     Cadeau en avant-première (pour ceux qui auront l'idée de venir faire un tour ce 24 mars après-midi sur ce blog), une des toiles de Macréau exposées à l'étage, photographiée l'autre jour avec autorisation spéciale de Martine Lusardy:

Michel Macréau,La mère et l'enfant, 1972, Exposition Halle Saint-Pierre, 2009, photo B.Montpied.jpg
Michel Macréau, La mère et l'enfant, 1972, expo Halle Saint-Pierre, 2009 ; étonnante audace quant au visage de la mère (à droite on suppose), sans bouche, muette, privée du droit de l'ouvrir...? Abnégation des mères?...

16/02/2009

Oskar Panizza était un créateur de l'art brut

Oskar Panizza,Pour Amanda à la petite..., dessin, vers 1906.jpg
Oskar Panizza, Pour Amanda à la petite chemisette de cou, dessin (traduction avec l'aide de Pierre Gallissaires)

      Je ne suis pas un théoricien, ni un philosophe, ni ne suis porté vers les grandes idées. Je ne peux prétendre devenir un jour un quelconque historien d'art calé en esthétique. Mais j'ai des intuitions, un peu de flair. Ce dont on ne me créditera aucunement une fois fait mon temps. On viendra prendre dans le tas. Et pourtant, il y aurait des indications à retenir de la façon dont les choses découlent les unes des autres. C'est pourquoi je fais le maniaque, réclame sans cesse qu'on se rappelle que j'étais là le premier, que c'est moi qui ai planté le drapeau sur ces lunes-là qui étaient bien sauvages et vierges de tout passage humain...Quitte à en agacer souverainement certains qui aiment à jouer aux sages détachés de tout...

Oskar Panizza,Le concile d'amour, Jean-Jacques Pauvert éditeur, 1960.jpg

Oskar Panizza,Deux seins commandés..., dessin vers 1906.jpg
Oskar Panizza, Deux seins commandés par M.J.Forain sur plaque, la belle zibeline dessinée dans le style très raffiné du maître haut-allemand (traduction avec l'aide de P.G.)

    Ouh là, là, où est-ce que je suis en train d'aller, où veut-il en venir? Eh bien, bizarrement à Oskar Panizza sur qui je suis retombé il n'y a pas très longtemps, l'été dernier, en revoyant mon vieil ami Pierre Gallissaires qui finissait une traduction à son sujet (les éditions Agone se sont mises en tête de sortir les oeuvres complètes de Panizza, et de faire en conséquence compléter certaines anciennes traductions). Cet écrivain connu pour le Concile d'amour cher à André Breton, cette pièce de théâtre qui fit scandale à Munich en 1895 valant à son auteur un séjour en prison en raison de sa façon de camper Dieu le père, vieillard cacochyme, Jésus, Marie, le Diable, les anges et la famille des Borgia avec un pape violeur et débauché à leur tête, deux enfants incestueux, les fameux Lucrèce et César Borgia, le tout dans une bouffonnerie échevelée d'une audace invraisemblable, cet écrivain décida de lui-même, au début des années 1900, de se rendre dans un hôpital psychiatrique.

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Oskar Panizza, pour Gambetta! Delcassé 1906

    Ce que l'on sait peu, c'est qu'il y continua d'écrire vers 1904-1905 des textes qui paraissent intéressants comme ce Dialogue entre un prêtre et un aliéné que m'a signalé Gallissaires. On sait qu'il rédigea en 1904 peu après son internement une autobiographie (disponible dans l'édition Pauvert du Concile d'Amour) où il paraît révéler qu'il souffrait de délire de persécution (c'est peut-être pour cela que je suis retombé sur lui!). Il va rester hospitalisé jusqu'à sa mort survenue en 1921. En Allemagne est paru en 1989 un ouvrage qui a montré que Panizza aimait aussi dessiner ("Oskar Panizza Pour Gambetta", éd.Belleville, Munich). Mais nous ignorons ce fait en France. Peut-être la notoriété grandissante de l'art brut, et conséquemment de tous les champs de l'histoire de l'art qu'elle entraîne derrière elle, notamment l'histoire de "l'art des fous", pourrait aider à faire mieux connaître cette partie de l'oeuvre et de la vie de ce grand blasphémateur.

Oskar Panizza, Pour Gambetta... dessin, vers 1906.jpg
Oskar Panizza, Pour Gambetta, c'est la toute dernière Amantha qui elle aussi est sortie de l'écoled'Oberlander, trop chouette! (traduction aidée par P.G.)

     En effet, des dessins de Panizza, à ce que me révéla Pierre Gallissaires cet été-là, sont conservés dans la collection Prinzhorn à Heidelberg. Oui, des dessins de Panizza, à côté des dessins d'August Natterer, si prisés par Max Ernst, ou des sculptures de Karl Brendel. Cela en fait un créateur de l'art brut du coup! On n'avait pas pensé à cela... Je ne l'avais pas remarqué, pourtant je possédais depuis longtemps un catalogue des années 80, en allemand, lié à une exposition de la collection Prinzhorn qui s'était promenée dans divers endroits en Allemagne. Une page mentionnait quelques dessins de Panizza, et je ne l'avais pas repérée...Dessins d'Oskar Panizza reproduits dans le catalogue de l'exposition allemande de la collection Prinzhorn de 1980-1981.jpg L'édition française des Expressions de la folie en 1984 ne le mentionne pas, sauf erreur de ma part. On en voit ici quelques-uns, histoire de se faire une idée. Nul doute que cette information devrait intéresser quelque chercheur... Non?

Die Prinzhorn Sammlung,catalogue d'exposition en allemagne 1980-1981.jpg
Catalogue de l'exposition sur la Collection Prinzhorn, Athenäum Verlag, 1980-1981

24/01/2009

Création Franche n°30

     Les animateurs de Création Franche ont loupé le virage de 2008 à 2009 et font paraître leur deuxième numéro annuel sur l'année suivante, ce qui va encore fait crier certains à la confusion sur le rythme de parution de cette revue à laquelle je reste fidèle par delà le temps...

    Mais baste! Peu importe le rythme de parution, l'essentiel est que la publication continue à se maintenir en dépit des inévitables difficultés financières qui guettent toujours ce genre d'initiatives. Nous arrivons désormais au n°30, en cette année de vingtième anniversaire du Site (c'est peut-être la passion des chiffres ronds qui a fait décaler la parution du n°30, du reste?).

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     Qui l'eut cru lorsque l'on vit paraître en 1990 le premier numéro de cet organe émanant du Site, devenu depuis le Musée, de la Création Franche...?

Création-Franche,-les-30-numéros, 1990-2009.jpg
Création Franche, l'éventail des trente numéros parus depuis 1990, ph.B.M.

    Je profite de cette note pour un faire un petit retour et une mise au point d'ordre historique.

    Les deux premiers numéros de Création Franche étaient du point de vue de leurs maquettes tout simplement calamiteux, le contenu restant de son côté bien timide. La direction en avait été confiée à messieurs Lanoux et Maurice. On vit à cette occasion ce qu'ils étaient capables de mettre en chantier. Je fus fort marri d'avoir été mis à l'écart du projet alors que depuis plusieurs années, j'essayais de lancer l'idée d'une revue qui traiterait de l'ensemble du champ des arts populaires. On me trouvait trop remuant, "sans humour" (dixit Sendrey dans ses Histoires de Création Franche, éd. de l'Authenticiste, 1998), et peut-être aussi trop fidèle à l'esprit surréaliste ("Bruno Montpied se veut sans complaisance, sans concessions; voue une vénération absolue à André Breton...", Gérard Sendrey, même source).

   "...l'idée d'une revue est venue se nicher au Site de la Création Franche. Des contacts que j'avais avec lui, Jean-Louis Lanoux m'apparaissait comme un homme censé [sic], raisonnable, bien posé dans la vie, avec une bonne connaissance du milieu sur lequel nous étions branchés. Je le voyais très bien remplir le rôle du rédacteur en chef ; et je le lui dis. Il ne pensa pas que j'avais tort et me le fit savoir. Mais il exprimait une crainte. L'éventuelle présence de Bruno Montpied dans le comité de rédaction lui semblait représenter un grave danger pour la cohérence et l'efficacité de l'entreprise (...) Jean-Louis considérait que Bruno ne pouvait s'inscrire raisonnablement dans un projet sans essayer d'en bousculer les données"... (Gérard Sendrey, même source, p.46). Bousculer les données, quel beau projet pourtant... C'est sans doute ce qui manqua dès le départ à cette revue comme on le voit à lire les propos de Sendrey. On me proposait d'écrire dans la revue mais il fallait accepter de passer sous les ordres d'un directeur qui craignait donc les "bousculeurs de données"... Je refusai (ce qu'a oublié de préciser Sendrey dans son livre, préférant me présenter comme un opportuniste qui aurait accepté sa mise à l'écart de peur de perdre l'occasion de placer sa prose).    

    Dès le troisième numéro, où Lanoux n'était plus directeur (c'était le rôle qui lui avait été finalement imparti, tandis que Jean-François Maurice était le rédacteur en chef) et où Gérard Sendrey, le véritable initiateur de toute l'affaire en réalité, qui avait voulu rester en retrait tel le Vieux de la Montagne (comme il se rêve souvent), reprit la direction des opérations, les choses commencèrent à s'améliorer, petit à petit. Les collaborateurs se retrouvèrent sous la direction de Gérard Sendrey (au reste assez débonnaire) sur un pied d'égalité, ce qui me poussa à proposer alors, et alors seulement, ma participation. Les collaborations diverses et variées que je fus amené à produire dans la suite des numéros montrèrent je crois que le soupçon que j'aurais représenté "un grave danger pour la cohérence et l'efficacité de l'entreprise" était parfaitement infondée. 

    Jean-Louis Lanoux introduisit une secrétaire de rédaction que Gérard Sendrey nomme "Aline" dans son livre qui se rendit coupable, aux dires de Sendrey, de ce qu'on pourrait qualifier comme des abus de pouvoirs... ("...elle corrigeait les textes, mettait un mot de son choix à la place d'un autre voulu par le rédacteur, tronquait des phrases, changeait des sous-titres, en modifiant le sens...", Gérard Sendrey, même source, p.51-52). Sendrey proposa dés lors à Lanoux d'abandonner le poste sacro-saint de directeur de la publication... Se fermait une période où finalement beaucoup de bruit avait été fait pour pas  grand-chose.

     La revue a, depuis ses débuts balbutiants, changé plusieurs fois de look, comme perpétuellement insatisfaite de ses atours (et de ses atouts?). J'avoue préférer sa dernière parure, mise en place depuis le n°26, avec son dos carré qui lui donne une allure plus professionnelle. Mais la période où son titre était composé avec des caractères contenant des fragments d'oeuvres "franches", du n°12 au n°17, me séduit aussi assez du point de vue de cet effet de maquette. Son contenu ne me plaît pas toujours, mais ce n'est pas mon entreprise, et je n'y suis qu'invité. Quand on regarde dans le rétroviseur, on s'aperçoit que s'il y a bien du déchet, il y a aussi un certain nombre de papiers fort instructifs sur toutes sortes de créateurs (la revue ne s'est jamais départie de son côté catalogue de notices, en dépit de tentatives trop rares d'insérer des "news" sur des actualités non liées directement au musée de la Création Franche -mes "Billets du sciapode" par exemple, dont le principe ne fut que peu repris par d'autres dans la revue). Avec le temps, on s'aperçoit que cette publication, jamais diffusée en librairie, mais seulement au Musée et sur abonnement, aura été utile pour l'information rare qu'on peut y trouver.

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Dessins de Charles Paris, présentés par Paul Duchein dans Création Franche n°30

    Dans le dernier numéro qui paraît donc ces jours-ci, on trouve en particulier un fort intéressant article de Paul Duchein sur des dessins retrouvés de Charles Paris, cet ancien chauffeur de maître qui à partir de 1958 (si l'on suit le catalogue de l'exposition de l'Art Brut au Musée des Arts Décoratifs en 1967) se mit à dessiner sur des pierres ou des coupes de bois d'olivier (voir également le livre de Michel Thévoz, L'Art Brut, de 1975, p.73). Comme le signale Duchein, la Collection de l'Art Brut et ses différents animateurs ne parlent pas du fait que cet auteur dessinait aussi. Les quelques dessins reproduits dans la revue sont de ce point de vue une première. On sent que leur auteur prisait particulièrement les images médiévales, ou de fantasy montrant le diable, ou une iconographie en rapport avec les lutins (un "personnage" de lui évoque les gremlins du cinéaste Joe DanteGremlin.jpg - qui, lui-même, soit dit entre parenthèses, serait allé les pêcher du côté de Roald Dahl...), tout en amplifiant cette imagerie d'une façon très personnelle beaucoup plus visionnaire.

Charles-Paris-personnage-CF.jpg Jean-Branciard,-oiseau-(à-g.jpg

Jean Branciard, deux oeuvres de lui (non reproduites dans CF n°30), à gauche L'Oiseau, et à droite le Sarcophage, ph.BM, 2008
 
    Dans ce même numéro, j'apporte une petite contribution pour faire mieux connaître l'oeuvre de Jean Branciard, découvert par le truchement de ce blog, et sur qui j'ai déjà laissé diverses mentions
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Robillard dans le spectacle Tuer la Misère, photo publiée dans CF n°30 et non créditée

      A noter également un article enthousiaste de Michel Leroux sur André Robillard, qu'il a l'habitude d'aller visiter à son domicile près d'Orléans, et un entretien de Pascal Rigeade avec Charlotte Ranson et Alexis Forestier qui sont les maîtres d'oeuvre de la pièce "performance" Tuer la Misère à laquelle Robillard participe sur scène (voir ma note du 3 juin 2008). La pièce continue de tourner. En ce mois de janvier elle est présentée à Lyon au théâtre des Subsistances, puis ira ensuite les 7, 8 et 9 avril à Bordeaux au "TNT Manufacture de chaussures". Pour l'occasion, du 28 mars au 19 avril, une exposition consacrée à Robillard se tiendra au Musée de la Création Franche.

Pour tous contacts, voir www.musee-creationfranche.com. Adresse: 58, avenue du maréchal de Lattre de Tassigny, 33130 Bègles. Tél: 05 56 85 81 73 ou 05 56 49 34 72.

(Nota-bene :CETTE NOTE EST UNE VERSION REMANIEE, DIFFERENTE DE LA VERSION INITIALEMENT MISE EN LIGNE ; remaniement intervenu le 17 février 09; les deux commentaires qui l'avaient accompagnée avant cette date ne s'appliquant plus, étant donné le remaniement des termes, ont été supprimés)   

 

09/01/2009

Le Griffonneur de Rouen, petit addendum

    David a eu la gentillesse de nous adresser une mise à jour de l'adresse URL du blog consacré au "Griffonneur de Rouen", blog toujours intitulé "Playboy Communiste". Nous l'avions évoqué dans notre note du 21 juin 2008. Grand merci à lui et avis à tous ceux que ce personnage hors du commun, ainsi que ses inscriptions, intéressent.

Alain R,ciné blu claribo, ph.Bruno Montpied, 2005.jpg

Graffiti d'Alain R., Rouen, photo B.Montpied, octobre 2005

Alain R., photo Bruno Montpied, 2005jpg
Alain R., Rouen, photo B.M. octobre 2005

10/10/2008

Pour servir à l'histoire de Marie-Louise et Fernand Chatelain (2): "J'ai point le temps d'aller au club du troisième âge"

    Le 23 novembre 1977, paraît dans le Libération de l'époque un article signé M.Ch.Husson et J.P. Duvivier (sans doute photographe sur l'article) et intitulé "Dérive chez les bâtisseurs de rêve. Le bestiaire de Fernand et Marie-Louise Chatelain (78 et 75 ans)". En voici un large extrait, choisi essentiellement pour les propos des Chatelain:

    "Fernand et Marie-Louise Chatelain, [...], feuilletaient aussi leur dictionnaire, et découpaient des "quartiers de journaux". Ce dictionnaire, ils l'ont toujours. Si vieux, si disloqué que, voilà un couple d'années, ils sont partis à Alençon en acheter un neuf. Ils ont été bien déconfits. Les dictionnaires ne sont plus ce qu'ils étaient. "Il n'y a plus d'images". Ils ont garé le livre neuf, et ont continué à faire vivre les pages de l'ancien dans leur cour, autour des premières réalisations de Fernand.

     - "En qualité de Chatelain, dit-il, j'ai d'abord fait un château". "On trimballait encore pas mal, dit-elle. On était allé sur la route de Bretagne, dans une station service, il a vu un château, il a voulu essayer d'en faire autant. On avait été à Chambéry, itou. Il a fait la fontaine des 4-100-Q (des quatre sans cul). Je rouspétais au début, je trouvais ça drôle..." Maintenant, elle ne dit plus rien. Elle caresse dans la cour les oreilles d'un âne. "On dirait-y pas du velours? Et les yeux dirait-on que c'est des boutons? Vrai qu'elle est belle, la sienne. Elle a une belle chevelure, c'est le crin d'une banquette de voiture". Fernand intervient: "J'avais fait des centaures. Ils avaient les bras en l'air. Je me suis dit, pour les occuper, je fais faire une sirène... Et là, mon dragon, c'est un genre de chauve-souris. On voit ça dans le dictionnaire. C'était pas facile de faire les ailes. Je me suis dit je vais les faire ouvertes, c'est moins ordinaire. Au derrière, comme j'avais de la place, je lui ai fait une grande queue, au lieu de plumes..."

la fontaine des éléphants à Chambéry.JPG
La fontaine des éléphants à Chambéry

      "Moi, reprend Marie-Louise, je lui donne des idées pour la peinture. Rouge et jaune, j'aime bien ça ensemble. D'abord les grilles, on les a peintes en rouge et jaune..."

      Enfant de cultivateur, Fernand a d'abord été boulanger jusqu'à 27 ans. Puis il a épousé Marie-Louise, sa payse, fille de cultivateurs. Et ils ont repris une ferme, là-bas, dans la descente, là où il y a l'usine. Ils ont vendu le "noyau" - les bâtiments - à l'usine, sont venus s'installer là. "Il n'y avait que des prés, se souvient Marie-Louise. La maison a été montée de décembre 1960 à la Chandeleur 1961. On y est venu qu'en octobre. On restait culture, jusqu'à la retraite. Le patron a commencé à faire des clôtures..."

      - "C'est bien bizarre, dit Fernand, L'idée nous vient d'occuper le terrain. On avait de la place, il y avait du vide. Je me suis dit si dans la clôture, je faisais des affaires entrelacées?"

Fernand Châtelain,pieuvre sur la balustrade, 1983, photogramme Les Jardins de l'art immédiat, B.Montpied.jpg
Fernand Chatelain, une pieuvre entrelacée avec la balustrade de clôture, photogramme des Jardins de l'art immédiat, 1983, B.Montpied ; à noter qu'il ne semble pas que ces sujets aient été reconstitués dans la restauration actuelle

      - "Oui, mais attention, coupe-t-elle. Pas devant la porte..."

      - "Ah, Ah, s'amuse Fernand, Madame, elle veut pas que je touche à la porte, ni à l'intérieur... J'ai fait des essais, Pégase, le cheval ailé du dictionnaire, et j'ai continué... je récupère dans les dépotoirs, chez les mécaniciens des bouchons de bouteille pour faire les yeux.Je m'ennuie point. Tout ça, ça vient en le faisant. Le matin, quand je dors pas, je cherche les complications. J'ai point le temps d'aller au club du troisième âge. Mais je n'ai aucun talent de dessinateur. Des fois je gribouille, je dis à la patronne, "ça ressemble à quelque chose?" Elle me dit "c'est bien, c'est pas bien, j'y mettrais une queue, une patte". Des fois, on est zéro en imagination. Je lui dis. Elle répond "laisse donc tout ça, tu nous hébètes avec tes machines" Et puis on repart. Au début, il y avait un représentant qui m'amusait pour me vendre une voiture. Un as du dessin. Il me faisait des sujets sur un papier... Moi, pour les physionomies, ça va pas".

     - "Sauf Giscard, corrige Marie-Louise. Vous avez vu le gabarit, pour les visiteurs. Sa carcasse de grillage qu'il bourre de papier et recouvre de ciment? Il en faisait un. Je lui dis, c'est Giscard. Il me répond "Penses-tu, c'est pas Giscard" Je lui dis "c'est tout vrai, c'est Giscard" Et une touriste belge nous a photographié à côté de Giscard. C'est-y possible de s'amuser pareillement à nos âges!"

Fernand Châtelain, Giscard, la fontaine des 4-100-Q, etc, photogramme Les Jardins de l'art immédiat, Bruno Montpied, 1983.jpg
Fernand Chatelain, photogramme extrait des Jardins de l'art immédiat, B.Montpied, 1983 ; le personnage humain au centre de l'image tenant le panneau doit être le Giscard évoqué par les Châtelain dans l'interview ; à droite, le début de la fontaine des 4-100-Q de Chambéry version Chatelain
 
     On se balade dans la cour. Marie-Louise n'aime pas les grands pendus de papier accrochés aux arbres par Fernand. Elle préférait "les singes de toutes les catégories". Mais elle aime bien la petite maison, fait d'échantillons de Formica. Là, des fleurs sont plantées dans les grands sabots. Une girafe. "S'il n'y avait pas cette poutrelle, la tête emporterait le derrière, commente Fernand. J'assujettis mes sujets sur place, je les termine là, à cause du poids". Un lion à six pattes. Un poisson fait de "coquilles Saint-Jacques en aluminium retrouvées dans un dépotoir". Des souvenirs de voyage. Venezia Gondola, la Tour de Pise. Chaque mois de mai, pendant 25 ans, une gardienne venait remplacer Fernand et Marie-Louise à la ferme. Eux partaient voir du pays, en auto, ou en car. Bruxelles, la Hollande, la Belgique, l'Italie... "Maintenant, on est trop vieux, on voyage dans les cartes postales, dans nos têtes..." dit Marie-Louise. Et dans leur cour.

     C'est l'hiver. Fernand a des sujets en réserve. Il nous montre son atelier, sa boutonnerie - une boîte à yeux - un coq qui pond, un Anglais, un accident de voiture, un cochon qui fait du boudin, récupéré par un autre sujet, mangé par un serpent. Des boxeurs. Un photographe. Bonjour écrit en grandes lettres sur la grille, à côté de la nationale. Un jour des fêtards avaient carambolé tous les sujets de Fernand. "Les gens du pays sont venus m'aider à tout relever", se souvient-il. "Les gens, ça les amuse".

Fernand Châtelain,saynète du cochon qui fait du boudin, ph Rémy Ricordeau, 2008.jpg
Photo Rémy Ricordeau, octobre 2008 après restauration ; saynète probable du cochon qui fait du boudin récupéré sous son derrière par un personnage qui se fait mordre par un serpent... Les couleurs violentes font presque penser à du Niki de Saint Phalle.

     "Ils ont le sourire, c'est pas croyable" dit Marie-Louise. "Encore une journée de passée. On prend la soupe à 6 heures, on regarde les chiffres et les lettres à sept heures". Fernand va vendre du bois. "Au printemps, dit-il, en montrant des rosaces peintes sur des cartons, en haut d'un hangar, ça pourrait bien tourner à faire des sujets là haut. L'imagination, ça occupe". "On nous demande de vendre. On veut pas. On aime bien voir ça, et tout le monde peut en profiter. Le patron fait ça pour son plaisir", dit-elle. Et lui termine en s'esclaffant. "Ca coûte, mais moins que si je faisais la bringue tous les jours".

24/09/2008

Connaissez-vous Claire Chauveau?

Cet article contient des mises à jour (de janvier 2020)...

 

    Je ne sais pas trop où il faudrait ranger les trois gravures que je mets ici en ligne. Art brut, naïf ou singulier, ou tout simplement inclassable, et séduisant, parlant à la délicatesse et à l'imagination.

    Je suis tombé sur ces gravures lors d'une de ces journées portes ouvertes improbables, où je ne vais généralement pas, de peur d'être rasé de près par les artisteuhs hyper narcissiques se croyant tous sortis de la cuisse de Jupiter parce qu'ils ont la bonne fortune d'étaler un peu de dégoulinade colorée avec plus ou moins d'inspiration et de maestria sur tous les supports de leur choix (allez, je ne vise, on l'aura compris que ce qu'on appelait autrefois les m'as-tu-vu ; a-t-on remarqué du reste à quel point on n'emploie plus ce mot, alors que la chose est pourtant si fréquente?). On m'avait mis au parfum, faut dire. Monelle Guillet et Joël Gayraud m'avaient signalé une "artiste" intéressante dans l'atelier d'un de leurs amis, André Elalouf.

Claire Chauveau, gravure aux chasseurs, vers 1995, ph.B.Montpied.jpg
Gravure, sans date, vers 1995 ; ph.B.Montpied

    Elle était sur les lieux, dans cet atelier de la rue Bichat dans  le 10e ardt, il y a déjà quelques années maintenant. Il était difficile de lui parler. Sa mère très présente à ses côtés répondait pour elle. Quelque chose commençait à se dire, mais la protectrice, sans doute inquiète, venait se superposer à ce discours qui ne parvenait pas à l'esquisse d'une formulation qui aurait eu peut-être - c'est l'impression toute subjective que j'en retirais - besoin de plus de temps pour se déployer.

Claire Chauveau, gravure aux hippocampes, vers 1995, ph.B.Montpied.jpg
Gravure sans titre, sans date, vers 1995 ; ph.B.M.

    En attendant (en attendant quoi?), j'acquis trois gravures où les sujets représentés distillaient une sensation de raffinement enfantin. C'était une scène de chasse avec hommes des bois avec fusil et arc. Plus une autre où l'on découvrait un avion à réaction larguant des bombes à côté, au-dessus, on ne savait trop, d'un Pégase géant (il me semblait reconnaître des souvenirs de mythologie gréco-latine), une chèvre attachée par le licol comme un appât pour un improbable tigre, un ange en robe, des arbres fragiles tentant vaille que vaille de croître dans le vide. Une troisième image représentait dans un médaillon central tout déchiqueté sur son pourtour une scène de chasse à la baleine, comme dans un dessin d'Inuit, avec des hippocampes, ces animaux démodés...

Claire Chauveau, gravure au Pégase, vers 1995, ph.B.Montpied.jpg
Gravure sans titre, sans date, vers 1995 ; ph.B.M.

     Je ne les ai jamais encadrés, jamais accrochés au mur chez moi. Je les garde dans un carton, où je vais les repêcher de temps à autre, les regardant avec reconnaissance pour leur grâce et leur finesse, leur simplicité raffinée. J'ai revu d'autres gravures de Claire Chauveau il y a quelques années à la Halle Saint-Pierre, dans l'espace pompeusement nommé "galerie" entre cafétaria et moignon de collection Max Fourny, au rez-de-chaussée. Le charme n'était plus le même, une certaine sophistication avait remplacé l'élan candide des départs. Comme si avait été conjurée l'immédiateté poétique, un peu étrange, hors-normes, des débuts... Mais peut-être n'est-ce là que suppositions et devrai-je faire place ici, plus tard, à un correctif...

 

Note du 14 janvier 2020 : Je reviens sur cette note de 2008 pour signaler le nom de l'animatrice de l'atelier de gravure de l'ADAC, rue des Arquebusiers dans le IIIe ardt (où, entre parenthèses, j'ai moi-même pratiqué de manière éphémère la typographie dans les années 1980), Mireille Baltar, qui accompagna, m'a-t-elle écrit ces jours-ci, Claire Chauveau dans ses travaux de gravure durant vingt ans, sans se préoccuper de ses coordonnées psychiques.

05/09/2008

Joseph Donadello, "Ralenti regarde moi"...

A Pierre Gallissaires, fidèlement   

Joseph Donadello, jardin de statues prés de Saiguède, photo Bruno Montpied, 2008.jpg
Jardin de statues de Joseph Donadello, prés de Saiguède, en dessous de Toulouse, photo B.Montpied, 2008

    On n'entendait plus parler de nouveaux environnements spontanés depuis longtemps. C'est pourquoi j'étais curieux de faire un tour du côté de Saiguède en Haute-Garonne, pour découvrir le jardin de statues de Joseph Donadello dit "Bepi Donal", site signalé discrètement avec quelques autres par Bernard Dattas et Denis Lavaud dans le bulletin Zon'Art (boudi que ce titre est dépréciatif, collant mal aux sujets qu'il servait pourtant à défendre...).

Jardin aux statues de Joseph Donadello, partie centrale, ph.B.Montpied, 2008.jpg

    Ce fut un peu difficile à trouver. Sur le bord d'une route menant au bourg de Saiguède (Haute-Garonne), on finit pourtant par ne pas le manquer, le jardin de M.Donadello, grâce au témoignage classique, "vous verrez, c'est au coin, c'est plein de trucs, on ne peut pas ne pas le voir". On a déjà tourné un film sur lui (de Noémie Dumas, et intitulé "Le Jardin de Bepi", voir le programme des XIe Rencontres autour de l'Art singulier à Nice avec Hors-Champ au début juin de cette année). Avant Zon'Art, Joseph Donadello avait été signalé dans un numéro de La Dépèche du Midi (article de Sylvie Roux) à l'occasion d'une exposition avec Honorine Burlin, Roger Lemière (tous deux créateurs presque voisins de Donadello) et aussi Joseph Buil (qui était alors âgé de 95 ans, selon Donadello) ainsi que Joël Barthe, à l'Espace Saint-Cyprien à Toulouse en 1999 (elle avait un titre amusant, "Les Mains de Jardin" et était organisée par l'Association Vertical).Article de Sylvie Roux dans La Dépèche du Midi, 1999.jpg De leur côté, les Boudra du musée Les Amoureux d'Angélique avaient découvert Donadello et les autres par eux-mêmes, comme des grands, en secret. On peut retrouver des oeuvres de Joseph ainsi que d'Honorine au musée des Amoureux d'Angélique au Carla-Bayle, voir nos notes sur cette collection.

    Son jardin empli de statues épaisses et plates pour la plupart, faites grâce à des moules, trés colorées, serait terminé aux dires de son auteur  (le dernier sujet sculpté étant, à ce qu'il nous a confié en juillet, un Bob l'Eponge...). C'est qu'il est arrivé à l'âge respectable de 80 ans (naissance en 1927). Et que la fatigue vient, légitime après "trente-six métiers, trente-six misères", expression qu'il aime reprendre avec le sourire. C'est vrai qu'il a exercé plusieurs boulots passant du bâtiment aux chauffeurs routiers, de l'agricuture aux charpentes, du cordonnier aux PTT. Construisant au passage de ses mains une douzaine de maisons pour sa parentèle, de nuit après ses journées de travail.

Portrait de Joseph Donadello avec son autoportrait Zozo, ph.B.Montpied, 2008.jpg
Joseph Donadello posant à côté de "Zozo", son autoportrait, ph.B.Montpied, 2008

   Ces métiers, on ne les sent pourtant pas omniprésents dans l'inspiration de ses statues (hormis une compositon avec des scies assemblées sur le fronton d'une remise). En dehors d'une inspiration hétéroclite puisant (c'est le cas de le dire, Donadello a commencé par un puits) passablement à des sources télévisuelles (mais aussi régionales, voire le 3ème commentaire ci-après de Michel Valière), il semble que l'une de ses passions dominantes soit avant tout la pétanque... Dans l'autoportrait en "Zozo" qu'il a planté dans un coin de son jardin, à côté d'un présentoir avec rayonnages envahis de petites sculptures, il a mis des boules à la place des mains de ce dernier. Lorsque je lui demandai de poser à côté de ce loustic, il s'appuya sur lui avec d'évidentes fierté et joie.

Joseph Donadello, fresque et bas-relief à l'entrée de son jardin, ph B.Montpied, 2008.jpg
Joseph Donadello, fresque et bas-relief à l'entrée de sa propriété, le bateau "Victoire", le chien de garde "Tango", etc... Ph.B.M., 2008

    Le jardin (commencé vers 1985-1986, environ 240 statues selon leur auteur) s'étend en bordure de route, émaillé de panneaux où des avis sont destinés aux curieux qui s'arrêtent en voiture (je conserve leur orthographe): "Ralenti regarde moi", "Stop visites à l'oeil", "Propriété privé interdit de photographier" (ce qui n'empêcha pas qu'une fois que nous nous fûmes présentés, l'auteur me laissa photographier tout à mon aise, étant entendu que nous convînmes ensuite d'un échange qui pût nous satisfaire tous les deux), "Visites interdites depuis la route DANGER On visite à l'intérieur"... Cette dernière injonction est assez juste, car si les statues sont placées de façon à amorcer l'attention des passants motorisés (juste après un virage), elles se donnent plus facilement à voir de l'intérieur du jardin (et c'est aussi plus sûr car les bas-côtés ne sont pas assez sécurisés). Il est donc essentiel de faire courtoisement connaissance avec le créateur des lieux.

            Jardin de Joseph Donadello, Laurel et Hardi (sic), ph B.Montpied, 2008.jpg        Joseph Donadello, Adam et Eve, ph.B.Montpied, 2008.jpg

    Les statues sont nombreuses, pas très hautes, vivement colorées, sans trop de nuances. Des noms, parfois sibyllins, sont généralement apposés dessus les pièces (là aussi je respecte l'orthographe): Amanda [Lear], Rika [Zaraï], Belmondo, Lolobrigida, O no Lulu [Honolulu], Babar, Fernandel, Bourvil, Kali [l'ours dans le film Zorba le Grec], Papinette [un personnage inventé par l'auteur ; du reste, il y en a d'autres de même inspiration, ce qui me rappelle l'abbé Fouré], Cazanova, Serge [Blanco, ex-champion de rugby], Adam [bien membré] et Eve, Bomba [au lieu d'Alberto Tomba], Catinou et Jakouti [personnages comiques régionaux, selon Michel Valière], Laurel et Hardi [curieusement intervertis dans leurs noms], Marilyn [sans aucune ressemblance avec Monroe], Vénus, Eric [Cantona], Serge ["Lama", voua, le jeu de mots, car le nom est porté par un lama],

Joseph Donadello, trois statues dans son jardin, ph.B.Montpied, 2008.jpg
Joseph Donadello, Serge "Lama", La Soeur Kikète, l'Ours Zorba, etc., ph.B.M., 2008

 Shirley et Dino, Aldo [Maccione] et la Mama, le Père Noël, etc.,etc... A côté, quelques maquettes de monuments (la Tour Eiffel, le Mont Saint-Michel et un autre monument intitulé "Qui l'aurait dit",  le Panthéon et ses "grands hommes" -cette citation par maquette interposée est évidemment malicieuse, le jardin tout entier de Bepi Donal proposant un autre Panthéon, nettement plus alternatif).

Donadello,Le Panthéon,ph B.Montpied, 2008-.jpg
Joseph Donadello, le Panthéon avec divers personnages, ph.B.M., 2008

     Distincte du jardin proprement dit, autre sas avant l'habitat intime du couple Donadello, on trouve ensuite une véranda qui fonctionne à la fois comme une galerie et une salle des trophées. Trophées gagnés dans les multiples concours de pétanque auxquels participa le créateur, coupes se bousculant sur les rayonnages qui courent le long des murs de cette grande salle.

J.Donadello au milieu de ses peintures et de ses trophées, ph B.Montpied, 2008.jpg
Joseph Donadello au milieu de ses oeuvres et de ses trophées de joueur de pétanque, ph.B.M., 2008

 

     Dans cette "galerie" bien remplie, on découvre que Bepi Donal, signature que Joseph Donadello préfère apposer sur ses oeuvres, est aussi un peintre hésitant entre naïveté et art brut,Bepi Donal, peinture, la Cicolina (sic), ph B.Montpied, 2008.jpg lorgnant de temps à autre vers une certaine expérimentation. A côté de saynètes souvent proches de l'esprit satirique ou caricatural, il peint en effet par des coulures aléatoires des tableaux où il superpose parfois des silhouettes. Le résultat faisant penser à des effets proches du papier marbré pour reliure. L'"artiste" ne s'arrête pas là, il peint sur tuiles aussi, et ne dédaigne pas à l'occasion de mêler à la peinture des collages de personnages découpés d'après des photos.Bepi Donal, peinture et collage, sans titre, ph.B.Montpied, 2008.jpg

     Au total, un lieu joyeux, où la couleur règne en maîtresse, et où, en dépit d'une certaine hâte du créateur (qui "aime que ça aille vite") qui est peut-être cause de l'inégalité d'inspiration des diverses sculptures, on rencontre à maintes reprises des oeuvres de très belle facture, à la fois comiques et étranges... Chefs d'oeuvre primesautiers masqués derrière une apparence de bonhommie?

Bepi Donal, peinture sans titre, ph.B.Montpied, 2008.jpg
Bepi Donal, peinture sans titre, ph.B.M., 2008

   

 

24/08/2008

Cités singulières (chemins de l'art brut VII) à Lille, mais hétérotopies à Francfort

     Le Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Ascq et la Maison de l'Architecture et de la Ville du Nord-Pas-de Calais organisent une exposition sur le thème de l'architecture et l'urbanisme tels qu'ils se reflètent dans les collections de l'Aracine ainsi que dans une collection d'art brut privée. Cela constitue la septième mouture des "Chemins de l'art brut". C'est prévu du 2 septembre au 1er novembre prochain (vernissage le 9 septembre) à Lille . Les créateurs représentés (par une cinquantaine d'oeuvres, sculptures ou dessins) sont ACM, Paul Duhem (pourtant ses villes doivent se résumer à des portes...), Paul Engrand, Désiré Geelen, Frank Jones, Titus Matiyane, Helmut Nimozewski, Willem Van Genk (ses gares, ses imperméables...) et Théo Wiesen (j'ai une petite préférence pour les "totems" de celui-ci).

Théo Wiesen,Chemins de l'Art Brut II, MAM de Villeneuve d'Ascq, 2002, ph B.Montpied.jpg
Salle consacrée à Théo Wiesen aux Chemins de l'Art Brut II en 2002 dans l'ancien Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Ascq, ph B.Montpied

     Le film de Claude et Clovis Prévost sur le facteur Cheval sera diffusé durant l'exposition. En effet, associer au thème de l'exposition les environnements spontanés paraît fort logique. L'idée est légèrement poussée plus loin dans l'expo. Un diaporama diffusé sur place évoquera au delà des sites du facteur Cheval et de l'abbé Fouré d'autres cas d'"habitants-paysagistes" (terme inventé par Bernard Lassus). Le concept de l'expo paraît se focaliser avant tout sur la dimension utopiste et onirique des visions architecturales propres aux créateurs des collections présentées (en dehors de celle de l'Aracine, on annonce une collection privée extérieure). Savine Faupin, sur le site de la MAV de Lille rappelle cependant que le Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Ascq mène une recherche sur la conservation des sites en collaboration avec le CNRS (mais on aimerait cependant savoir quels travaux ont été ajoutés à la suite de la journée sur les sites environnementaux spontanés du 10 décembre 2005 -où entre parenthèses eurent lieu, en marge, de belles rencontres entre amateurs des sites, n'est-ce pas Signor Belvert?). Elle ajoute, sur le même site, cette information qu'il y aura après la réouverture du nouveau Musée d'Art Moderne une grande "exposition transversale" intitulée "Habiter poétiquement" qui traitera plus amplement du thème de l'habitat à travrs les trois composantes des collections du Musée, l'art moderne, l'art contemporain et l'art brut (il va donc falloir s'habituer à ce genre de confrontations à Villeneuve d'Ascq...). Parmi les créateurs présentés à l'exposition, Théo Wiesen est le seul exemple d'environnementaliste spontané, avec ses totems étranges qu'il avait installés dans l'allée qui menait à sa scierie. Les deux photos que j'insère ci-dessus et ci-dessous montrent ceux qui avaient été déjà présentés en 2002 à Villeneuve d'Ascq dans Les chemins de l'Art Brut II.

Theo Wiesen, Les Chemins de l'Art Brut II, MAM de Villeneuve d'Ascq,2002, ph.B.Montpied.jpg
Théo Wiesen, détail d'une barrière sculptée, Les Chemins de l'Art Brut II, 2002, MAM de Villeneuve d'Ascq, ph.B.M.

    Architecture et urbanisme dans l'art brut sont dans le vent en ce moment puisque se terminait ce week-end à Francfort sur Main en Allemagne, au Musée Allemand d'Architecture, une autre expo intitulée Heterotopia. Arbeiten von Willem Van Genk und anderen (Hétérotopies, Oeuvres de Willem Van Genk et autres, du 31 mai au 24 août 2008), expo réalisée en collaboration avec le musée du Dr. Guislain situé à Gand en Belgique. L'idée de la manifestation était d'emprunter à une conférence de 1967 de Michel Foucault (intitulée "Espaces autres") la notion d'"hétérotopie". Ce dernier définissait ainsi des espaces concrets hébergeant l'imaginaire, comme autant de localisations physiques d'espaces utopiques. Il englobait là-dedans aussi bien les cabanes d'enfants, que les parcs de loisirs, les cimetières, ou les asiles. Lieux qui pouvaient constituer un négatif ou une marge de la société. Il aurait pu y joindre les environnements créés par les autodidactes de tous poils qui font notre bonheur ici sur ce blog, entre autres.

Gérard Van Lankveld,Place de la Victoire, 1982-1984, Boîte à musique, collection Fondation Monera, Musée du Dr.Guislain, Gand, expo Heterotopia, Francfort 2008, ph. Piet Kuppens.jpg
Gérard Van Lankveld, Place de la Victoire, 1982-1984, boîte à musique, expo Heterotopia, collection Fondation Monera, Musée du Dr.Guislain, Gand, photo Piet Kuppens, Gemert, Pays-Bas

    Je n'ai pas vu cette dernière exposition, mais seulement le catalogue (trouvable à la Halle St-Pierre ; bilingue allemand-anglais).Heterotopia,catalogue de l'exposition au DAM de Francfort en 2008.jpg Si je n'apprécie que très peu les dessins de Van Genk (son usage de la couleur me repousse, ce qui on le comprendra ne prétend de ma part à aucune objectivité), j'ai été fort intrigué par plusieurs cas présentés dans cette expo, notamment ceux de Gérard Van Lankveld, qui paraît avoir créé un état imaginaire de Monera borné à sa seule personne et à ses productions, d'étranges maquettes de monuments-objets conservées au Musée du Dr.Guislain à Gand, et de Hans-Jörg Georgi et Stefan Häfner, ces deux derniers ayant semble-t-il en commun le goût de confectionner des maquettes de villes bizarroïdes qui comme dans le cas de Häfner font parfois fortement penser à une sorte de ville situationniste, type New Babylon, passée à la moulinette d'un cyclone spécialiste en déboîtages...

Stefan Häfner,Zukunfstadt I-III, DAM,Francfort, expo Heterotopia, ph.Thomas Spier.jpg
Stefan Häfner, Zukunftsstadt I-III, 2000-2005, matériaux divers, Deutsches Architekturmuseum, Francfort et exposition Heterotopia, photo Thomas Spier, Berlin

02/08/2008

Miroslav Tichy, océan pacifique

    J'avais été intrigué à l'exposition de la collection d'art brut d'Arnulf Rainer, à la fondation Antoine de Galbert-La Maison Rouge (en 2005, Paris), par quelques photos qui paraissaient comme volontairement abîmées, plutôt floues, représentant des femmes comme s'il s'agissait de clichés voyeuristes. Un photographe brut? Tiens, tiens...

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Miroslav Tichy, Inv. -Nr 1-35, 20,9 x 24,8 cm, collection Fondation Tichy Ocean, Zürich (catalogue de l'exposition au Centre Pompidou, 2008)

    Il existait bien aux USA le cas d'Eugène Von Bruenchenhein, cet homme qui adorait sa femme et la photographiait sans cesse parée de bijoux, parfois dans le plus simple appareil (quoique sans trop d'érotisme). De la photographie amateur existe aussi bien entendu (aujourd'hui le domaine doit exploser avec tous ces petits appareils numériques pas plus grands que des cartes à jouer). Des livres ont été souvent consacrés à la question, plus précisément à la photo anonyme. Sur ce blog, j'ai également évoqué les cartes postales à plusieurs reprises, notamment le 30 mars. La photo a prolongé bien évidemment l'imagerie populaire gravée. Roger Cardinal, interrogé sur la photo "brute", m'a indiqué avoir écrit sur la question. J'espère avoir communication ultérieure de cet article. Or, voici une importante exposition au Centre Georges Pompidou consacrée à Miroslav Tichy, qui nous renseigne davantage (que l'expo de la Maison Rouge), en une centaine de clichés au moins, sur les recherches de cet homme hors du commun.

Catalogue expo Miroslav Tichy au centre Pompidou en 2008.jpg
Couverture du catalogue de l'expo Tichy au Centre Pompidou

     Il n'y aurait pas de Miroslav Tichy sans le rôle central, quoique discret, joué par un médiateur capital, Roman Buxbaum. Cet attelage à deux individus, le créateur et son médiateur auprès du public, nous rappelle déjà un trait commun aux créateurs de l'art brut. Ces derniers viennent rarement jusqu'à nous sans un truchement extérieur, qui assure la communication. En l'occurrence, il semble que l'activité photographique de Tichy n'ait pas été destinée à être montrée. Roman Buxbaum (voir Un Tarzan en retraite, souvenirs de Miroslav Tichy, publié dans le catalogue de l'expo du Centre Pompidou) restitue l'aspect relativement contradictoire de la position de Tichy vis-à-vis de la communication de ses photos: "Il aime les montrer à ses visiteurs. Mais admet rarement avoir donné son accord pour que ses oeuvres soient exposées. Et lorsqu'il est de mauvaise humeur, il accuse et insulte quiconque ose les montrer au public. Pourtant, lorsque je lui ai apporté le catalogue de l'exposition de Séville [première exposition de ses photos en 2004 à l'initiative de Harald Szeemann], il n'a pas caché son émotion".

Miroslav Tichy Inv.-Nr.5-2-7,24-x-21,5 cm, collection Magasin 3 Stockhom Konsthall.jpg
Miroslav Tichy, Inv. Nr 5-2-7, 24 x 21,5 cm, collection Magasin 3 Stockhom Konsthall (catalogue Centre Pompidou)

     L'activité photographique de Tichy, toujours selon Buxbaum, paraît une activité très intime qui se serait développée après une crise psychotique survenue dans les années 50, suite au vernissage d'une expo à Prague dans un lieu réputé où ses peintures avaient été sélectionnées mais que Tichy décida brusquement de retirer à la dernière minute (Tichy est aussi un peintre et un illustrateur, ayant eu au départ une formation à l'école des Beaux-Arts de Prague). Il a été sujet à de nombreuses dépressions depuis l'adolescence, nous dit-on, qui sont des périodes où paraît s'anéantir une créativité qui ne se développe au contraire que lorsqu'il est en bonne santé.

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Miroslav Tichy, Inv. -Nr. 6-12-7, 29 x 21 cm, Fondation Tichy Ocean, Zürich (et catalogue Centre Pompidou) ; chef-d'oeuvre d'ambiguïté

      Ses photos, que Buxbaum va parfois repêcher dans le magma océanique du logis où Tichy laisse aller ses affaires à vau-l'eau, parlent très souvent des femmes, des corps de femmes inconnues, croisées, entraperçues, semble-t-il à leur insu. Ces clichés volés montrent des instants de grâce, de beauté érotique qui surgissent inopinément, dans un paradoxe seulement apparent, au travers d'une technique bricolée. Matériel photographique de Miroslav Tichy, coll fondation Tichy Ocean, Zürich.jpgTichy a réinventé le sténopé, la boîte à chaussures munie d'un trou et d'un papier photographique, il a fabricoté des appareils à partir d'objets de récupération (dans le film que lui a consacré Roman Buxbaum -Miroslav Tichy, Tarzan à la retraite, édité en DVD, disponible à la librairie de l'expo au Centre Pompidou- il montre le bouton de rembobinage d'un de ses appareils faits à partir d'une capsule dentelée de bouteille de bière). Idem pour son agrandisseur confectionné à partir de planches et de lattes arrachées à une clôture. Appareil photo de M.Tichy, coll Fondation Tichy Ocean, Zürich.jpgC'est comme si nous avions affaire au cousin de l'André Robillard qui fabrique des objets symboliques (ces fusils qui ne font feu qu'imaginairement), sauf que les appareils photo assemblés vaille que vaille avec des boîtes de conserve par ce "cousin", ici, peuvent prendre aussi des photos!

      Les organisateurs de l'expo, en raison de ces bricolages, l'associent aux outsiders et à l'art brut. Mais la parenté avec cette dernière conception est également à rechercher ailleurs, comme je l'ai souligné au début de cette note. L'oeuvre photographique (cela finit par être une oeuvre, en dépit du fait, en outre, que Tichy "n'aurait jamais accepté d'être considéré comme un photographe", dixit Buxbaum) est avant tout une action qui cherche à se rapprocher au plus près de la vérité de ses sujets. Il s'agit pour Tichy de capter au plus immédiat la grâce de la vie, le mystère des formes et des incarnations qu'il a tendance à concevoir comme des apparences illusoires (dans son film, Tichy évoque le mythe de la Caverne de Platon, mythe destiné à prouver que l'homme est condammné à n'entrevoir de la vérité que son ombre).

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Miroslav Tichy, Inv. -Nr 4-11-23, 26 x 20,5 cm, coll Fondation Tichy Ocean, Zürich (et catalogue Centre Pompidou) ; avec cette photo, Tichy prend tout à coup des allures de Lewis Carroll décalé

    "Quand quelque chose attirait son attention, il attrapait son appareil, soulevait de sa main gauche le bord de son pull et, de sa main droite, ouvrait l'étui et appuyait sur le déclencheur sans même regarder dans le viseur. Son mouvement était si fluide et rapide qu'il était presque impossible à remarquer. En riant, il dit qu'en procédant ainsi, il pouvait attraper une hirondelle en plein vol" (Roman Buxbaum, les derniers mots soulignés par l'auteur sont de Tichy). L'hirondelle de ses désirs...

    Signe supplémentaire de son indifférence à l'égard des conventions esthétiques de présentation, Tichy a confectionné des cadres bricolés avec des pauvres matériaux de hasard, décorés parfois de dessins ou de motifs griffonnés, pratique qui rappelle celle du poète Boris Bojnev (un Slave là aussi) qui en Provence s'était adonné à la mise en cadre d'oeuvres naïves trouvées en brocante. Ces deux formes de création réalisées autour d'un sujet empreint de poésie vitale sont du reste apparues dans les mêmes décennies d'après-guerre (Tichy, qui est toujours vivant, paraît avoir cessé ses activités artistiques dans les années 90, période qui précéde curieusement sa reconnaissance publique, comme si cette dernière ne pouvait avoir lieu qu'après la création et pas pendant). Certes Tichy a eu une formation artistique, et cela le distingue des autodidactes de l'art brut. Il serait à mettre en rapport avec ces grands inclassables de l'art que sont Soutter, Charles Meryon, Louis Wain (dont je parlais dans une note précédente), Ernst Josephson, etc, autant de créateurs artistes au départ qui à la faveur d'un basculement dans un état psychotique ultérieur ont orienté leurs travaux dans un sens profondément intériorisé. Ce qui est bien en rapport avec l'enjeu de l'art brut en définitive.

Miroslav Tichy Inv. -Nr.6-12-13, 25,1 x 17,9 cm, coll Fondation Tichy Ocean.jpg
Miroslav Tichy, Inv. -Nr 6-12-13, 25,1 x 17,9 cm, coll Fondation Tichy Ocean (et catalogue Centre Pompidou) ; à la faveur de cette spectralisation du corps nu, on retrouve cette recherche de la figure du désir assez analogue aux recherches d'un Bellmer par exemple

L'expo Miroslav Tichy se tient au MNAM du Centre Pompidou, à la Galerie d'art graphique, du 25 juin au 21 septembre 2008. Les photographies exposées proviennent sauf quelques-unes de la fondation Tichy Ocean basée à Zürich. "Tichy" en tchèque se traduit par paisible, pacifique. L'univers de chaos et de hasard dans lequel vit Tichy ressemble à un océan. L'océan Tichy. Ce qui donne par jeu de mots l'océan pacifique... D'où le nom de la fondation de Zürich.

21/06/2008

Le griffonneur de Rouen

Graffiti, Alain R., à Rouen, ph Bruno Montpied, 2005.jpg
Graffiti d'Alain R. sur une armoire électrique rue Jeanne d'Arc, Rouen ; photo Bruno Montpied, 2005

   

     J'ai déjà évoqué, quoique subrepticement (dans Création Franche n°26, sept.2006 ), ce vagabond des mots graffités sur les murs de Rouen. Je l'ai découvert dans le livre de Pascale Lemare, le Guide de la Normandie Insolite (éd. Christine Bonneton, juillet 2005). Rencontré au tout petit matin en compagnie de  mon camarade Philippe Lalane, il nous avait glissé son nom, Alain R., susurré serait plus juste, au coeur d'un flot de paroles fort difficiles à saisir. Et ce nom, ces mots mis bout à bout dans une kyrielle de sons quasi inintelligibles, ressemblaient aux mots que l'on trouve en différents lieux de Rouen, plus lisibles, plus intelligibles sur les murs que dans sa propre parole. Pas de phrases, des mots seuls, et beaucoup de noms propres.

Alain R., graffiti Boulevard des Belges, ph David Thouroude, 2006.jpg
Boulevard des Belges, Rouen ; photo David Thouroude, extraite de "Playboy Communiste"
Alain R., photo de David Thouroude, 2008.jpg
Alain R., photo David Thouroude, 2008, blog "Playboy Communiste"

     Coluche, Jesse James, Antoine, Lutte Ouvrière, Langevin, Humanité, Karl Marx (auquel Alain R, sur certaines photos, commence à ressembler...), Capa, SNCF, Martine, Louis XVI, Robinson Crusoe (comme lui, Alain R. a fait naufrage),Portrait d'Alain R. par David Thouroulde, 2006.jpg Essaouira, Tintin, Gai Luron, Chateaubriand, Carlos, Aznavour, Ysengrin, Géronimo, Jean Gabin, Arsène Lupin, Gaston Doumergue, Les Garçons Bouchers, Perpignan (un rare nom de ville), Cavanna, Ribeiro (peut-être Catherine), Crochet (le capitaine), Don Quichotte, Mauritanie, Sidi Brahim, Ali Baba, Oncle Picsou, Haribo, Laguiller, PCF, Mitérand (sic), Patrick Bruel, Gagarine, Olivier Besançonot (sic),graffiti d'Alain R., ph David Thouroude, 2008.jpg Socrate, Gotlib, Polidor 1854, Mandrika, Landru... Que de noms semés au hasard des murs plâtreux, avec une orthographe rarement en défaut, ce qui est à noter. Cela pourrait correspondre à un besoin de rassembler en une gerbe éclatée ce qui reste d'une mémoire, d'une culture (très contre-culture du reste) en danger de dissolution...? Les murs étant les pages du sans domicile fixe (mais Alain R. en est-il un?).

Graffiti quai Gaston Boulet, Rouen, ph David Thouroude, 2008.jpg
Graffiti d'Alain R., quai Gaston Boulet, Rouen, ph David Thouroude, 2008, blog "Playboy Communiste"

    Dans cette litanie, on trouve aussi des noms communs. Les mots: playboy (qui revient à quelques reprises), toise, enchaîné, chéri, goupil (à moins que ce ne soit "Romain Goupil"), ciné, bijou, petit bouchon, dérailleur, occultistes, gaufres, flûte, aligator (sic), mosquée, pied, parole, femme, ménate, regard, devin, trique, tambourinement, paparano...Graffiti d'Alain R.,rue Lecanuet, ph B.Montpied, 2005.jpg Les graffiti laissent parfois les mots bien distincts, mais parfois aussi ils se chevauchent, rendant la lecture difficultueuse. Le support devient alors palimpseste, agrégat de lettres confusément entassées, comme si dans ces moments-là la mémoire s'affolait et ne pouvait plus empêcher la grande mêlée, la grande confusion... Pour moi qui travaille dans l'animation avec des enfants ces inscriptions pulsionnelles ressemblent fort aux efforts enfantins d'apprentissage du langage qui passent par des accumulations de mots écrits laborieusement, en tirant la langue ou pas, les mots s'entassent en vrac, dans une disposition brute sans souci d'ordonnancement, absolument hors de toute norme d'affichage...

Alain R. graffiti rue des Bons Enfants, Rouen, ph B.Montpied, 2005.jpg
Alain R. graffiti rue des Bons Enfants, ph B.Montpied, 2005

    Il n'y a pas très longtemps, un blog s'est créé sur internet entièrement voué à notre griffonneur, avec un inventaire photographique de David Thouroude, recensant un maximum d'inscriptions dans la ville de Rouen (tenant le registre qui plus est des inscriptions effacées ou disparues... Travail de fourmi passionnée qui laisse pantois!). Les animateurs du blog en outre ne se sont pas contentés de faire des photographies mais ils ont aussi relevé tous les mots inscrits par leur héros... Alain R. s'y trouve portraituré à différents endroits de la ville, avec son accord à ce que dit Pascal Héranval sur le blog. Comme je n'ai pas recueilli cet accord (lorsque nous l'avons rencontré, il fut impossible d'établir un véritable dialogue), je m'en tiens à son prénom et à l'initiale de son nom comme cela été déjà utilisé dans un article de Jean-François Robic, Le texte des villes,  qui l'évoque dans l'ouvrage collectif Dessiner dans la marge (textes réunis par Boris Eizykman, éd. de l'Harmattan, 2004). Le nom du site s'inspire des mots d'Alain R.: PLAYBOY COMMUNISTE.Alain R., graffiti rue de l'Ecole, Rouen, ph David Thouroulde, 2006.jpg Avec ce blog, est apparu aussi récemment un film tourné sur Alain R., qui a fait l'objet de plusieurs projections dans le cadre du festival Art et Déchirure à Rouen (selon Philippe Lalane, les séances multiples ont toutes été complètes ; il y a visiblement autour de ce griffonneur un intérêt du public, des habitants de la région, Jean-François Robic le signalait déjà dans l'article cité ci-dessus). Les auteurs du film sont David Thouroude et Pascal Héranval, et sa durée est de 52 min. Ce sont eux aussi qui sont à l'origine du blog "Playboy Communiste", sur lequel on peut aussi apercevoir des fragments de leurs vidéos.

plancher d'Alain R., photo David Thouroudejpg
Graffiti sur une paroi verticale d'Alain R. route de Bonsecours, qui, photographiés ainsi par David Thouroude en 2007, montrent leur ressemblance avec le plancher gravé de Jeannot qu'on peut voir devant l'hôpital Ste-Anne à Paris

20/05/2008

Abdelkader Rifi est parti lui aussi, on ne m'en avait rien dit

    En me baladant sur le net, cherchant tout autre chose en fait (comme d'habitude), je suis tombé sur la triste nouvelle, incidemment annoncée sur le blog du festival Art et Déchirure qui se tient en ce moment à Rouen (expo, films...), de la disparition d'Abdelkader Rifi. Cela fait déjà trois ans qu'il nous a quittés. Et cela faisait bien plus longtemps que je pensais à lui, de façon toute intermittente, comme on peut le faire à propos de tant de choses dans ce monde plein à ras bord de tant d'informations à la fois tristes et belles, tellement plein qu'on est parfois tenté, comme disait récemment un libraire de mes amis de tout laisser aller pour préférer se concentrer sur le vide... Oui, j'aurais dû... Pourquoi s'être livré à tant de procrastination (je crois que ça veut dire ça...) tant de temps...? Parce qu'on se figurait que peut-être, on aurait gêné à vouloir venir demander des nouvelles de la création que ce monsieur menait, très enfantine, très pimpante, colorée et gaie, l'affichant sur les murs de sa maison... Je l'avais du moins subodoré en entendant quelque racontar sur lui, sans doute infondé, mais qui avait fait son impression sur mon imagination.

    Et maintenant, devant la brutale nouvelle glanée au coin du bois virtuel, je suis bien sûr que je ne me rebaignerai plus deux fois dans le même fleuve, façon de parler, car les paroles qui sortaient de la bouche de Rifi, entrevu autrefois dans les locaux de Neuilly-sur-Marne au Château-Guérin vers 1984, tenaient davantage du ruisseau, mais qu'importe, les petites rivières font aussi bon usage pour les amateurs de vraie poésie.

    J'insère à la suite la petite notice recopiée du blog Art et Déchirure (curieusement au fait, ce blog porte le nom de José Pierre dans son adresse URL... sorte d'hommage?):

Abdelkader Rifi et sa femme, Gagny, photo provenant du blog d'Art et Déchirure.jpg
Photo extraite du blog Art et déchirure

"Rifi (1920 – 2005)

Né en 1920, Abdelkader Rifi a travaillé très jeune comme maçon. C’est au petit jour, avant de partir pour ses dix heures de travail quotidiennes, qu’il se mettait à peindre, composant à petits traits, à petits points, d’un pinceau unique trempé directement dans la couleur pure du tube et sur des matériaux divers : papier, carton, contreplaqué, portes de placard de récupération,…un monde paradisiaque. Fleurs et oiseaux multicolores, petits animaux, espèces végétales diverses, vasques et urnes naîtront ainsi des mains de cet artisan maghrébin. Parfois, ces jardins primordiaux s’engendrent à partir d’une nébuleuse spiralée faite de points polychromes qui impulse une dynamique tournoyante à ce microcosme symbolique. Dans la banlieue parisienne où il résidait [Gagny], Abdelkader Rifi, avait construit, au coeur d’un petit lopin de terre, une maison dont il avait décoré l’extérieur et l’intérieur à l’instar de ses dessins : oiseaux, plantes et fleurs en mortier peint pour en orner les façades ; grandes peintures sur papier pour en illuminer les pièces. “J’ai des jardins plein la tête “ disait-il d’un sourire radieux. "

   

25/04/2008

Hilma Af Klint?

    C'est un prénom et un nom, Hilma Af Klint, ce n'est pas une incantation barbare. Il s'agit d'une femme, née en 1862 et disparue en 1944. Elle faisait de l'art, de la peinture, et c'était une cachottière. Avant de mourir, elle fit promettre à son neveu (Erik Af Klint comme de juste), de ne pas montrer ses oeuvres (environ un millier) tant que vingt années ne se seraient pas écoulées. En fait, les oeuvres ont attendu vingt années de plus, puisque ce n'est qu'en 1986 que ses toiles furent révélées au public, au Los Angeles County Museum, à l'occasion de l'exposition "The Spiritual in Art: Abstract Painting 1890-1985" (où, à côté de Mondrian, Kandinsky et de Malevitch, elle fut présentée comme une pionnière de l'art abstrait).

The Message, catalogue de l'exposition sur l'art et l'occultisme à Bochum en Allemagne, 2008.jpg

     Il y a quelque temps, ayant acquis le catalogue de l'exposition "The Message, Kunst und Okkultismus (Art and Occultism)" qui vient de se terminer au musée des Beaux-Arts de Bochum en Allemagne (16-02 au 13-04-2008), qui contient d'intéressants textes de divers auteurs réputés (Claudia Dichter, Barbara Safarova, Peter Gorsen, etc.), ainsi qu'une traduction du texte de référence d'André Breton, "Le Message Automatique" (traduit partiellement en allemand, et par Guy Ducornet intégralement en anglais), l'ayant parcouru comme d'habitude en diagonale, au hasard, dans tous les sens, mon oeil s'était arrêté à ce nom et cette oeuvre inconnus de moi. Hilma Af Klint... De précieuses, délicates géométries qui paraissaient dater de l'époque de l'Art nouveau ou de l'Art déco... Comme des plans de rosaces destinées à des verrières... Je glanais dans ce catalogue grâce aux traductions en anglais qu'il contient quelques renseignements sur l'artiste.

      Après des études très sérieuses dans les écoles artistiques suédoises, et avoir pratiqué une peinture de genre qui ne la distingue sans doute pas notablement de l'ensemble des peintres de son temps, elle se tourna vers des cercles spirites, apparemment à dominante féminine, où ses talents de médium l'avaient orientée. Elle produisit une centaines d'images entre 1906 et 1908, fortes compositions colorées où se rencontrent des motifs ornementaux floraux ou géométriques, des lettres ainsi que quelquefois des visages d'êtres humains (ainsi que des évocations symboliques de la fusion des corps qui provoqueront de l'émoi autour de l'artiste...qui décida par la suite de se vouer à la chasteté tout en se sacrifiant éperdument à l'art, ce qui fait penser à Séraphine "de Senlis", la misère matérielle en moins...).

Hima Af Klint, peinture de 1907, extraite du catalogue de son exposition de 2008 au Centre Culturel Suédois.jpg
Hilma Af Klint, tableau présenté au Centre Culturel Suédois, série WU (La rose), groupe I, Les grandes peintures de figures, n°8, 148x164cm, 1907  

     Il semble qu'après sa rencontre avec la théosophie de Rudolf Steiner et sa passion pour cet enseignement, elle ait décidé de ne plus placer sa peinture sous le guide des "entités surnaturelles" et de peindre plus en conscience et en contrôle. Elle resta active artistiquement parlant jusqu'à son grand âge, mais ne montra plus ses oeuvres de l'époque occultiste.

      Une exposition est actuellement montée à Paris, au Centre Culturel Suédois, du 11 avril au 27 juillet. Un petit catalogue est édité à cette occasion, sous une jaquette noire où l'on peut lire ce titre imprimé en argent: "Hilma Af Klint, Une Modernité Révélée"...

Catalogue d'exposition 2008 au Centre Culturel Suédois à Paris: Hilma Af Klint.jpg

     Cette exposition est prévue pour offrir un prolongement à l'évocation de cette artiste qui paraît devoir s'insérer dans l'exposition prochaine au Centre Beaubourg (oui...Pompidou, je sais) intitulée "Traces du Sacré" (titre qui me fait sourire, vilainement narquois comme il m'arrive de l'être, car ces "traces" me laissent rêveur quand je repense à ce que me dit un jour un camarade dans la rue devant des excréments de chien étalés sur un trottoir, "Regarde... La chair de Dieu..."). Peu d'oeuvres de la période 1906-1908 sont en tout cas présentées au centre suédois, et celles qui le sont, le groupe des "Grandes Peintures de figures", sont intriguantes et laissent un peu le spectateur sur sa faim, côté peintures médiumniques. Il semble qu'on ait avant tout présenté au Centre les oeuvres produites sous l'influence de la théosophie, assez lourdement symboliques, semblant vouloir prouver une doctrine préexistant au travail de création de l'artiste. Et signalons au passage dans le catalogue l'affirmation de Pascal Rousseau, très "coup de pied de l'âne", qui juge l'art brut une "catégorie mineure" de l'art: "Il faut (...) cesser de ranger son oeuvre dans la catégorie mineure de l'art brut: un art d'inspirés, de fous ou d'illuminés, un art qui dessaisit l'artiste plutôt qu'il ne consacre la radicalité consciente de son vocabulaire". Difficile de faire mieux dans le renversement réactionnaire méprisant....

     Il faudra sans doute aller chercher à Beaubourg un peu plus d'information (quel effort il me faudra accomplir... Vu les traces en question...). 

30/03/2008

Départ de Martha Grünenwaldt

   J'ai appris grâce à l'animateur du blog sur l'art singulier, Frédéric Lux, la disparition à 97 ans de Martha Grünenwaldt. Elle eut longue vie, en dépit de nombreuses souffrances et difficultés (fille d'un musicien ambulant qu'elle accompagnait lors de ses tournées, elle fréquenta peu l'école, joua du violon aux terrasses des cafés pour nourrir ses trois enfants qu'elle dût élever seule après sa séparation avec son mari, puis fut domestique). Peut-être continuera-t-elle, désormais, à jouer du violon au ciel de notre mémoire en compagnie de l'accordéon de Pépé Vignes?  Orchestre d'anges new look, avec pourquoi pas Pierre Jaïn à la batterie?

    Il nous reste quelques documents sur elle (un petit film de Bruno Decharme par exemple, réalisé il y a peu de temps semble-t-il, peut être visionné sur le site de ce dernier), des quantités de dessins surtout (activité commencée en 1981), la plupart réalisés aux crayons de couleur et  au feutre, ce dernier outil  étant bienfragile hélas, comme on s'en convaincra avec le dessin ci-dessous, exécuté aux alentours de 1985, et qui a pâli...

Martha Grünenwaldt, dessin au feutre sans titre, sans date (vers 1985), coll.privée, Paris, photo Bruno Montpied.jpg

    Révélée par l'association Art en Marge de Bruxelles, elle fut souvent exposée chez eux (elle y eut une rétrospective en 2002 entre autres). L'Aracine aussi possède de nombreuses oeuvres d'elle (ainsi que le Musée de la Création Franche à Bègles), et il m'est déjà arrivé, en 1989 dans Artension (deuxième série), d'écrire au sujet d'une exposition Grünenwaldt organisée dans les locaux de l'Aracine à Neuilly-sur-Marne.

    Martha Grünenwaldt utilisait tous les papiers qui lui tombaient sous la main, afin de satisfaire sa véritable compulsion de dessin. La femme, les animaux sont les sujets fréquents de ses dessins. Mais il y a aussi toute une efflorescence de motifs et d'ornements à la limite de l'abstraction, de l'informel, ambivalents comme dans une recherche de formes à la naissance (à la racine) de l'expression et de la mise en forme. 

28/03/2008

Théâtre et art brut aux Rencontres de la Villette

    Du 16 au 27 avril prochain, dans le cadre des "Rencontres de la Villette", abcd s'implique dans un mixte d'exposition et de représentation théâtrale montée en collaboration avec les compagnies théâtrales de la Sybille et de l'Oiseau-Mouche. Titre: L'appartement. Voici le descriptif tel qu'il m'a été transmis en service de presse pour la journée du 17 avril ( il y aura des "déambulations théâtrales"  tous les jeudi, vendredi, et samedi, à différents horaires ; les autres jours, on pourra voir l'exposition permanente d'art brut ainsi que les films réalisés par Bruno Decharme):

" 19h / 22h
Durée : 30m, au studio 1 (Grande Halle de la Villette, Paris 19e arrdt)

abcd (art brut connaissance et diffusion)
Cie La Sibylle - Cie de L’Oiseau-Mouche
L’appartement.
(Exposition d'art brut et déambulations théâtrales)  
Parmi les œuvres d’art brut de la collection abcd, les comédiens de Sylvie Reteuna déambulent et font résonner des textes de personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques.
(Les spectateurs sont invités à visiter l’appartement où six colocataires en errance déambulent au rythme de leurs songes et des œuvres d’art brut qui peuplent leur univers. En décembre 2007, une lecture déambulatoire est présentée par Sylvie Reteuna et Bruno Decharme à la galerie abcd à Montreuil. Les Rencontres de la Villette leur ont proposé de développer cette collaboration qui met en résonance les oeuvres exposées et des textes. Les fragments de lettres, écrits ou « délires », dits par les acteurs, mais aussi la plupart des tableaux exposés sont l’oeuvre d’hommes et de femmes ayant connu l’enfermement psychiatrique. C’est aussi l’occasion pour les Rencontres de retrouver les comédiens de la Cie l’Oiseau-Mouche — déjà accueillie en 2001 avec Le Labyrinthe — qui participent avec d’autres acteurs à ce projet.)

Conception et réalisation: Bruno Decharme, Kate France, Sylvie Reteuna. Contacts : pour La Sibylle : Sylvie Reteuna - sylviereteuna@free.fr ,: Lydia Rozenberg - abcd@abcd-artbrut.org"

*
 
     Le concept, plus proche de la performance que de la représentation théâtrale classique, est assez original semble-t-il. A suivre donc... Si l'on veut plus de renseignements, voir ici le lien pour ces Rencontres de la Villette.  

17/02/2008

A la découverte d'Axel Henrichsen avec Jean Painlevé (1956)

    J'ai parlé naguère de Jacques Brunius dont la vie et l'oeuvre me fascinent. Dans son film génial sur les créateurs  de violons d'Ingres en tous genres, daté de 1939, premier documentaire sur l'art populaire et brut (avant la lettre pour ce dernier terme) en Europe (et on peut bien l'oser: au monde...), apparaissait de façon fugitive un autre cinéaste poétique et tout aussi génial, cousin en esprit de Brunius, j'ai nommé Jean Painlevé.

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    Né en 1902 et disparu en 1989 (pour sa biographie, on peut se reporter utilement à cette notice dûe à Brigitte Berg qui anime aujourd'hui les Documents Cinématographiques, garants de la mémoire de Jean Painlevé), ce dernier est surtout connu comme le pionnier d'un cinéma scientifique de vulgarisation, ce dernier terme n'étant bien entendu pas à prendre dans un sens dépréciatif, puisque Painlevé songeait par là à la facilitation de la diffusion du savoir scientifique vers le grand public (pour ne pas dire le public populaire). Pour ce faire, il ne s'interdit jamais d'user de l'humour, de la poésie et de la fantaisie dans ses documentaires concis, où la musique, par exemple le jazz de style "jungle" dans son film Assassins d'eau douce sur la prédation en milieu aquatique, est parfois amenée à jouer un grand rôle créant des décalages amusants. Painlevé ne dédaigne pas non plus d'employer un regard parfois fortement anthropomorphiste, attitude qui après des décennies d'éteignoir sous prétexte de recherche d'objectivité reprend de la faveur ici ou là (par exemple dans la littérature jeunesse documentaire). Elle lui fut reprochée, comme l'a souligné Brigitte Berg (voir lien ci-dessus), mais Painlevé balayait l'argument en disant ceci par exemple: "Tout est matière à l'anthropomorphie la plus saugrenue, tout a été fait pour l'homme et à l'image de l'homme et ne s'explique qu'en fonction de l'homme sinon " ça ne sert à rien " ".

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   Son oeuvre, qui nous revient aujourd'hui à la faveur de sa réédition sous forme de DVD, grâce aux Documents Cinématographiques (société de production fondée par Jean Painlevé en 1930), n'a pas pris une ride, et a gardé toute sa fraîcheur. A la parcourir, on s'aperçoit aisément qu'elle a influencé des générations de documentaristes spécialisés dans l'évocation de la nature (je pense notamment à l'excellente série sur les "Inventions de la vie" de Jean-Pierre Cuny). Jusqu'à présent, trois DVD sont sortis, contenant bien entendu les documentaires animaliers et scientifiques qui ont fait la renommée de Painlevé (beaucoup étant en rapport avec le monde sous-marin, avant les films de Cousteau), mais aussi certains courts-métrages plus expérimentaux comme Mathusalem (1927), ensemble de cinq séquences (où joue Antonin Artaud)

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initialement prévues pour une pièce de théâtre d'Ivan Goll (avec qui Jean Painlevé, entre parenthèses, collabora pour le n°1 de la revue Surréalisme, revendiquant ce vocable inventé par Apollinaire de façon différente de celle revendiquée  par les jeunes André Breton, Philippe Soupault, Aragon, etc. ; à noter que Painlevé resta à l'écart du surréalisme bretonien, même s'il entretenait de bons rapports avec certains de ses membres, apparemment selon Brigitte Berg pour des divergences de vue sur l'importance de la musique). On trouve aussi dans ces trois compilations, un film d'animation extraordinaire avec des personnages en pâte à modeler, Barbe-Bleue (adaptation de 1937 du célèbre conte de Perrault), dont la technique devance de très loin les films des studios Aardman (Wallace et Gromit).

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Titre du film de jean Painlevé tel qu'il apparaît à l'écran, copyright Les Documents Cinématographiques

     Et puis, on y trouve aussi (DVD n°3, édité en 2007, double DVD), un film qui nous regarde davantage, quant à la thématique plus particulière de ce blog, à savoir LE MONDE ETRANGE D'AXEL HENRICHSEN qui date de 1956. Oui, Jean Painlevé s'est aussi intéressé à l'art des autodidactes, et grâce à ce film peut figurer dans ce segment du documentaire artistique qui concerne l'art brut,7871c7a13f80f7e12b26b9cdc99ab7a3.jpg naïf, populaire, où vient en tête Violons d'Ingres de Jacques Brunius (1939), et où figurent aussi le Palais Idéal d'Ado Kyrou (1958), puis Le Facteur Cheval, "Où le songe devient la réalité" de Claude et Clovis Prévost (1980), films que l'on a eu la chance de voir projetés à Nice dans les programmations de l'Association Hors-Champ (qui projette pour bientôt la publication d'un petit ouvrage sur sa programmation et cette filmographie à part).

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Personnages en os rehaussés de couleur, Axel Henrichsen, dans le film de Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

      J'ai découvert ce film à la fin des années 80 à une rétrospective des films de Painlevé qui avait lieu au cinéma Le République. Painlevé était là et présentait les films. Sur Axel Henrichsen, il se plaignit de ce qu'il n'ait jamais enregistré aucune réaction à son sujet. J'étouffai au fond de mon fauteuil, en moi une voix criait, mais comment donc, votre film est pourtant absolument magnifique, en outre il révèle un créateur que le corpus de l'art brut ou autodidacte n'a jamais retenu. Je m'étais alors juré de trouver un jour un espace où parler de ce film et de ce créateur.

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Axel Henrichsen à l'ouvrage, film de Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

      "Une famille près de Copenhague créait par des moyens très personnels des formes du vivant avec des matériaux variés. L'un d'eux, forgeron, utilisait aussi bien du bois que des détritus végétaux ou animaux (il possédait un grand jardin où régnait sa femme avec de magnifiques plantes et fleurs diverses...).

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Une autre image du film de Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

     J'en filmais une "actualité" qui, comme quelques autres d'entre elles, n'intéresse personne... C'était en vue de susciter chez les gosses des imitations du même ordre, de fabrication peu coûteuse... (...) Les distributeurs qui connaissaient le genre de mes films, méprisèrent celui-ci en décrétant qu'il n'offrait aucun intérêt. Je l'avais fait en deux jours, un d'été et un d'hiver." (extrait du catalogue "Jean Painlevé" édité en 1991 par Les Documents Cinématographiques).

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Racines en lutte dans Le monde étrange d'Axel Henrichsen, Jean Painlevé, copyright Les Documents Cinématographiques

      Axel Henrichsen, comme le dit Painlevé faisait partie d'une famille qui aimait se récréer grâce à divers techniques artistiques. Le film montre au début du reste quelques peintures dûes à ses proches, que l'on trouvera à juste titre assez conventionnelles. C'est Axel qui fabrique des oeuvres vraiment plus originales à partir de racines dans un premier temps (à partir de 1942 semble-t-il, "son pied ayant heurté une racine" -phrase qui fait penser fortement à la première pierre trouvée par Ferdinand Cheval) puis avec des os de boucherie ensuite (os que lui ramènent ses chats et les renards qui rôdent autour de sa maison, on les voit dans le film). Et ces oeuvres pourraient tout à fait à mon sens relever de l'art brut tant elles figurent des personnages grotesques et drôlatiques faisant parfois songer à des diables de cathédrales ou à des extra-terrestres, en tout cas assez peu en référence à la vision convenue de la réalité.

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Etranges échassiers d'Axel Henrichsen, film de Jean Painlevé, 1956, copyright Les Documents Cinématographiques

      On aimerait fortement savoir ce qu'est devenue l'oeuvre de ce monsieur au Danemark. L'exposition "Gars du nord" organisée  en 1988 à la Maison du Danemark, consacrée en partie à l'art populaire du Jutland, ne parlait pas de lui. Google me paraît bien muet aussi sur ce sujet. Alors, si quelque internaute a des lumières sur la question, qu'il n'hésite pas...

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Ce monsieur-là s'appelait Hans Orla Villy Petersen, il fut photographié par Jorgen Borg dans les années 80 dans le Jutland (exposition "Les Gars du Nord") au Danemark, sa jupette me fait penser à "Monsieur G." qui vivait à Nesles-la-Gilberde et qui lui aussi prisait fort les jupes par anti-conformisme

 

27/01/2008

Des dessins retrouvés de la maison des artistes de Gugging?

     En furetant et en traînant la savate l'autre jour dans une brocante au sud de Paris, je déniche dans une liasse de papelards deux petits dessins aux crayons de couleur qui me font instantanément songer à certaines images qui sont produites en Autriche à la Maison des Artistes de l'asile de Klosterneuburg, appelé plus communément Gugging, du nom de la commune auquel appartient l'hôpital, prés de Vienne. Voici les deux dessins, sans titre, sans nom d'auteur. Le marchand interrogé ne possédait, comme c'est le cas la plupart du temps, aucun renseignement sur l'origine des dessins qu'il charriait parmi beaucoup d'autres n'ayant rien à voir les uns avec les autres, ne serait-ce que par le style, ou l'époque...

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     A qui me font penser plus exactement ces dessins? J'ai trouvé deux auteurs dans le fascicule n°12 des publications de la Collection de l'Art Brut, dont les travaux pourraient en être rapprochés... 

     Voici le  premier avec ce dessin qui représente des croix sur des tombes, dû à Franz Kernbeis... 

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     Ou peut-être plus valablement pourra-t-on les rapprocher de ce dessin dû à Johann Scheïbock ? : 

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14/01/2008

Yvonne Robert naïve à Carquefou brute à Lausanne

    Michel Leroux me signale une exposition d'Yvonne Robert à Carquefou, qui fait partie de la métropole du grand Nantes en Loire-Atlantique. Avec un tel nom  craquant au vent fou venu des profondeurs de l'océan pour vous emporter les idées noires, on aurait pu imaginer cette petite ville au bord de  la mer, eh bien c'est sur les bords de l'Erdre (cet affluent de la Loire, occulté à Nantes, comme la Bièvre à Paris, et à qui manque un M initial qui achèverait de l'amarrer inexorablement au père Ubu)...

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    Cela se passe du 6 au 20 février 2008 à l'Espace Culturel la Fleuriaye (renseignements: 02 28 22 24 40, courriel: culture@mairie-carquefou.fr). Yvonne Robert a commencé à faire grandement parler d'elle grâce à une petite étude de Guy Joussemet dans le fascicule n°14 de la Collection de l'Art Brut à Lausanne (édité en 1986). Elle peint depuis 1974 des saynètes de tous ordres se rapportant à une vie rurale qui paraît de plus en plus aujourd'hui s'éloigner de nous. Née en 1922, elle n'a pas quitté la Vendée où elle a connu une vie d'enfant difficile dans une famille où les parents se déchiraient Sa vie d'adulte a connu d'autres moments durs, avec des employeurs sans scrupules notamment, aussi des hommes qui l'ont brutalisée.

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    Guy Joussemet parle d'une peinture qui en 1986 semblait s'éloigner de débuts qualifiés plutôt de naïfs pour se diriger avec assurance vers une dimension nettement plus "brute". Cependant, avec le temps, il semble que cela apparaisse moins net et moins tranché. La production est désormais, trente-quatre ans après ses débuts (1974), vaste et multiple, parfois inégale. Les références à la végétation, aux animaux, à des scènes de tragédie banale telle que celle que je montre ci-dessous,

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Comme font les oiseaux Mélanie s'est cachée derrière son armoire pour mourir Victorien dit à Mélina je suis sûr que ta mère a ses sous dans l'armoire sous ses chemises Dépêche-toi les autres vont arriver... Peinture d'Yvonne Robert, 2002, coll.privée, Paris, photo B.Montpied

 montrent qu'Yvonne Robert ne se résout pas à se détacher complètement de la réalité telle que la perçoivent ses yeux. On n'assiste pas avec elle à une plongée griffonnante et débridée dans l'imaginaire et l'abstrait. Il semble que seuls quelques traitements affectant une partie de l'image puissent prendre un aspect "automatique" échappant au contrôle de la raison (l'étagement des divers plans dont la peintre ne sait rendre la perspective, par exemple, ce qui la conduit à inventer un autre mode d'expression et un autre langage, ce qui devrait faire taire les rieurs).

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    A Carquefou, elle est présentée comme artiste naïve, de ce fait sans doute. A Lausanne, c'est une autre chanson. A cheval (Ferdinand...) entre brut et naïf, Yvonne Robert? Personnellement, cela ne me dérange aucunement. L'enfance du regard est intact des deux côtés. 

(Les photos sans auteur mentionné proviennent du site de la mairie de Carquefou)

27/12/2007

Pépé Vignes joue sûrement de l'accordéon au paradis

    Il me semble que personne n'en a parlé (*), mais Pépé Vignes s'en est allé. et cela fait déjà quelques mois cette année, cette année qui meurt à son tour... Nous ne savions plus grand-chose de lui depuis bien longtemps, tant il était protégé de ses admirateurs par ce qui lui restait de famille. Il serait temps de songer à repartir à sa recherche. Voici une première trace ci-dessous. 

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Pépé Vignes, sans titre, crayons de couleur sur papier Canson, 1976, coll.privée, Paris (ce qui pourrait ici ressembler aussi bien à un châlet suisse est en réalité un tonneau, normal pour un homme qui s'appelle Vignes...)
 
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(*): Personne? Pas tout à fait. En regardant mieux, j'ai trouvé que le site du musée de la Création Franche avait indiqué la date du décès de Joseph Vignes à la date de cette année... Un peu plus d'ampleur serait cependant souhaitable pour une telle nouvelle. Il n'y a pas que Julien Gracq qui mérite des hommages.
+
Post-scriptum n°2: Personne? Ouh là là... Suite au commentaire de "fd" paru à la suite de cette note, j'ajoute qu'on doit signaler aussi le blog consacré à l'art singulier et à l'oeuvre de Jerzy Ruszczynki qui contient une notice sur Pépé Vignes enrichie de belles reproductions de ses oeuvres, notice où a été également signalée la date de décès de M.Vignes.

18/10/2007

Les Jardins de l'art Brut de Marc Décimo, présentation du livre

J'ai reçu l'annonce ci-dessous ces jours-ci, je répercute... : 
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"R e n c o n t r e   d é b a t
avec  
Marc Décimo
auteur du livre
Les Jardins de l'art brut
(Editions Les Presses du Réel)
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samedi 10 novembre à 15 heures

Auditorium de la Halle Saint-Pierre
Entrée libre
***
     Les Jardins de l'art brut, de Marc Décimo, parution octobre 2007
     Un essai sur la naissance et le devenir de l'art brut, un parcours en images hors des musées.
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    A partir des traditions médicale, littéraire et artistique qui, chacune selon leur point de vue, se préoccupaient de l'"art des fous", émerge la notion d'art "brut", telle que la définit Jean Dubuffet. A savoir, finalement, la possibilité de faire du résolument neuf dans les pratiques artistiques. Et de croiser, chemin faisant, Raymond Queneau, André Breton et... Marcel Duchamp. 
   Si l'art "brut" trouve enfin place dans divers musées du monde et devient populaire, où aujourd'hui fuit cet art ? C'est ce à quoi se propose de répondre ce livre de façons diverses, explorant jardins et visitant le monde.
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   Maître de conférences à l'Université d'Orléans, Marc Décimo est linguiste, sémioticien et historien d'art. Il a publié une vingtaine de livres et de nombreux articles sur la sémiologie du fantastique, l'art brut, les fous littéraires, sur Marcel Duchamp et sur l'histoire et l'épistémologie de la linguistique.
*
(Auditorium Halle Saint Pierre, 2 rue Ronsard, 75018 Paris)  "
*
(Les images proviennent toutes du site de l'éditeur Les Presses du Réel)

02/10/2007

Dictionnaire du Poignard Subtil

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OUTSIDER: 

  Je m'étonne toujours que l'on utilise ce terme dans la langue française. Bien  souvent, on le fait sans chercher à savoir s'il aurait un équivalent dans notre langue. On pense d'abord qu'il tend à définir, lorsqu'il est accolé au mot art, l'art des marginaux, de ceux qui sont rejetés, qui sont à l'extérieur (à l'extérieur, out, du côté, side). Certes, il contient   dans un premier temps cette signification (dans le monde anglo-saxon, appliqué à l'art brut, il désigne les autodidactes). Mais, simultanément, ne contient-il pas aussi en creux cette suggestion que ces "marginaux" sont tout à fait capables de faire retour dans l'art dominant (le mainstream, autre terme de plus en plus employé dans le jargon franglais envahissant des nouveaux snobs) et de s'imposer demain comme les nouvelles valeurs de l'art, ce qui est bien le calcul de plusieurs des artistes dits "singuliers" ici en France du reste, ainsi que des marchands ou des collectionneurs qui s'y intéressent. Ce sens-là, inutile de le dire, n'avait pas été prévu par ceux qui avaient lancé le terme de l'autre côté de la Manche.

   Ce double sens d'outsider fait qu'en français, le mot était jusqu'à présent passé essentiellement dans le jargon des turfistes. Le canasson qui n'est pas favori mais qui pourrait bien l'emporter malgré les prévisions... En fait, c'est le canasson alternatif! L'alternative aux paris. Le bon plan un peu risqué mais qui peut rapporter gros au jeu du tiercé, le rêve de tout bon flambeur qui se respecte...

   C'est pourquoi je veux mettre en avant qu'on pourrait traduire en français outsider par ALTERNATIF. D'autant que le terme a commencé d'être très à la mode en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis apparemment à partir des années 70 (1972 et 1978) avec les expositions organisées avec la complicité de Roger Cardinal, à une époque où de ce côté de la mer le mot "alternatif" servait à désigner toute une culture "underground" (encore un terme anglo-saxon), vocable qui englobait l'architecture "autre", les modes vestimentaires (l'Inde...), l'alimentation et l'agriculture biologiques, des modes de socialisation utopistes comme les communautés, l'art psychédélique, les environnements créatifs excentriques, etc. L'art brut était vu d'un bon oeil par tous les zélateurs de ces cultures alternatives. Par la suite, en France, le mot est un peu passé de mode. Il continue cependant de représenter une bonne alternative (précisément) à l'emploi franglais d'outsider pour qualifier pêle-mêle un rassemblement d'art brut, d'art contemporain influencé par l'art brut, des environnements sauvages, etc., dans une joyeuse confusion qui a été dénoncée à diverses reprises ici ou là (dans les publications de l'association ABCD notamment).

09/09/2007

Chez Prinzhorn, sur Arte

    Ce dimanche aura été illuminé par l'excellent documentaire de Christian Beetz au titre à double sens (au moins dans sa traduction française), un "art insensé", insensé de force et de beauté poétique.

    Bien sûr, on a sous la main le bouquin de Hans Prinzhorn, traduit depuis les années 80, on a le catalogue de "La Beauté insensée" de l'expo du Palais des Beaux-Arts de Charleroi (1995-1996), on a des catalogues en pagaille venus de la clinique d'Heidelberg où se trouve la collection Prinzhorn (par exemple un des plus récents, de 2006, très soigné comme tout ce qui provient de la Sammlung Prinzhorn, "Wahnsinn sammeln, Outsider Art aus der Sammlung Dahmmann-Collecting Madness, Outsider Art from the Dahmmann Collection), mais personnellement, je n'arrivais pas à me faire une idée exacte de la qualité des oeuvres de cette fameuse collection Prinzhorn (jamais montrée en France à ce qu'il me semble?), hormis quelques cas célèbres très souvent reproduits, comme August Natterer (connu d'abord sous le nom de Neter), Karl Brendel (ces deux créateurs ayant influencé Max Ernst dans quelques-unes de ses oeuvres, quelques-unes sur des milliers comme on oublie souvent de le souligner), Joseph Schneller (Sell), ou encore le célèbre Heinrich Anton Müller. "La Beauté insensée" du musée de Charleroi, avec son côté austère, ses fiches signalétiques médicales, la pâleur de ses reproductions, n'aidait pas, il faut dire...

    Le film de Christian Beetz avec ses choix esthétiques parfaits, la qualité des commentaires de ses intervenants (tous collaborateurs ou responsables de la collection Prinzhorn: Thomas Röske, Bettina Brand-Claussen, Ferenc Jadi, Inge Jadi -conservatrice de la collection-,Sabine Mechler, etc), leur générosité et leur compréhension vis-à-vis des créations mises en lumière par une caméra non voyeuse mais rendant à César ce qui appartient à César, ce film tout à coup en deux fois vingt-cinq minutes révélait la haute qualité des oeuvres conservées à Heidelberg, leur haute valeur humaine, la profonde nullité des Nazis qui ont massacré leurs auteurs dans les chambres à gaz après avoir tenté de stigmatiser leurs oeuvres dans une exposition de mise à l'index (l'"Art" soi-disant "dégénéré"), le film révélait tout cela de manière éclatante. Un rayon de soleil passait subitement à travers la télévision et son habituel océan de vulgarités. Montrant subrepticement ce que pourrait faire la télévision si elle se transformait plus souvent en loupe merveilleuse se promenant sur les oeuvres d'art et leurs rapports avec la vie, la souffrance, les joies des hommes, instrument idéal de médiation directe entre les hommes et la poésie.

    Une seule petite critique aurait pu s'adresser à Thomas Röske qui affirme un peu vite à un moment du film que le surréalisme n'aurait sans doute pas pu exister sans les oeuvres de Natterer, ce qui est aller un peu vite en besogne tout de même... 

30/08/2007

Mystère, énigmes et non-sens à Montreuil

    Du 15 septembre prochain (date du vernissage de 12 à 19h) au 29 juin 2008, la galerie ABCD de Montreuil invite chacune et chacun à faire une "visite-surprise" à leur nouvelle exposition intitulée "Brut alors!". "A la découverte des oeuvres d'art brut, à la recherche de leurs secrets", ajoute-t-on.

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     Avec seulement le carton d'invitation en main, sans plus d'explication, on se sent invité à une sorte de jeu (si on trouve pas, on "donne sa langue au chat"), à déchiffrer des "codes secrets" ou à "découvrir des formes cachées". Les images cachées, justement on aime ça au Poignard Subtil.

    Mais cela ressemble aussi à une enquête policière, car le carton parle de "piste de l'art brut". On cherche à dévoiler un secret. Et un calligramme élégant strié des slogans ci-dessus cités simule une empreinte digitale...

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    Du coup, on se dit aussi qu'on nous invite à enquêter sur la piste d'un secret... ou d'un crime (Car c'est le propre des enquêtes policières)? Or la police, en général, cherche à embastiller des coupables. Quel serait alors le rapport avec cette visite-surprise?

    Il faudra aller à Treuilmont pour en savoir davantage... 

05/08/2007

L'écrit brut tel un palimpseste

    Dans la catégorie des écrits bruts, on insiste le plus souvent sur le contenu des textes, à juste titre, puisqu'il est peu pris en compte, parce qu'on a tôt fait en lisant ces écrits de les croire incohérents, hermétiques (ce qu'ils sont tout de même parfois). C'est une lecture rebutante, qui nécessite un patient travail de déchiffrage. Personnellement, je suis souvent paresseux dans ce genre d'exercice. J'aime ce qui coule de source...

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     Peut-être est-ce pour cette raison que je préfère alors me tourner du côté de la dimension physique de ces écrits. Leur matérialité. Nous avons, depuis quelque temps, à Paris, devant l'hôpital Ste-Anne (grâces soient rendues à Animula Vagula de l'avoir signalé sur son propre blog), divisé en trois parties (alors qu'à l'origine, il était sculpté en deux sections) , le plancher d'un certain Jeannot, paysan béarnais (des marches pyrénéennes) qui grava le sol de sa chambre, come s'il incisait la matière même de sa douleur, pour clamer comme une sorte de dernier cri testamentaire. Il le commença du moment où sa mère mourut (il l'avait enterrée sous l'escalier de la maison familiale, maison dont il ne sortait pratiquement jamais, s'y étant reclus avec sa soeur, aussi délirante que lui), et paraît l'avoir continué jusqu'à l'instant où il se laissa périr d'inanition (en 1972, il avait alors 33 ans). Comme s'il avait jeté ses dernières forces dans une ultime bataille, ne désirant plus les reconstituer par la nourriture.

   Ce plancher ne fut découvert que fort tardivement, vingt ans environ après la mort de Jeannot, sa soeur, restée seule dans la propriété qui se délitait progressivement, étant à son tour décédée vers 1993.

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     Le docteur Guy Roux a recueilli plusieurs informations sur la vie de cet homme qui faisait peur aux gendarmes, aux autorités préfectorales et à ses voisins (il patrouillait le fusil à la main sur un tracteur en tournant autour de sa maison, il fit une fois une incursion agressive chez ses voisins, terrorisant les gens). Il les a rassemblées dans l'ouvrage intitulé Histoire du plancher de Jeannot, sous-titré Drame de la terre ou puzzle de la tragédie, éd. Encre et Lumière, Cannes et Clairan, 2005 (préface d'Alain Bouillet).

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    L'auteur conclut en effet à un "drame de la terre", suggérant que Jeannot avait été enchaîné dans la poursuite de l'exploitation familiale jadis prospère, que son père, présenté comme un bourreau de travail (le mot "bourreau" fait réfléchir...), avait développée jusqu'à ce qu'il se suicide d'une façon brutale et inexpliquée en se pendant dans une grange (ce mode de suicide me fait penser à celui qu'a choisi un autre auteur d'art brut, Jean Grard, à Baguer-Pican, près de Dol-de-Bretagne).

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    L'histoire de cette famille recluse, coupée du reste du monde, je l'associe un peu au scénario de ce film magnifique du Suisse Fredi M.Murer, L'Ame-Soeur (1985), où l'on voit une famille de quatre personnes, appartenant à un clan apelé "les Irascibles" vivant en autarcie sur un versant de montagne, se décomposant peu à peu après les amours incestueuses du frère simple d'esprit, sourd-muet (le "Bouèbe") et de sa soeur, vivant de rêves, coupés qu'ils sont du monde par la vie que leur font mener leurs parents qui pourtant puniront leurs amours (l'auteur a dit de son film, écho étrange aux propos du Dr.Roux: "Je voulais raconter l'histoire de l'AME-SOEUR d'une manière linéaire, comme les tragédies grecques où l'on savait à l'avance ce qui allait se passer").

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     Le plancher se retrouve donc à présent exposé aux yeux de tous, en bord de rue, devant des bâtiments de l'Hôpital Ste-Anne, divisé en trois, sans explication sur cette division et sur l'ordre de lecture (on suppose qu'il faut le lire de gauche à droite), dans un emboîtage vitré dressé à la verticale (légèrement penché vers la rue) qui empêche notablement la lecture de ce qui est sauvagement gravé à la gouge et au poinçon (les lettres étant formées de trous circulaires et de barres incisés dans le bois, les trous ayant sans doute servi à éviter que la gouge ne dérape et ne rende illisibles les lettres).

    En effet, les vitres miroitent, superposant aux lettrages le reflet de la rue Cabanis (14e ardt) où se trouvent les panneaux (au n°7). Découvrant pour la première fois ce plancher gravé d'inscriptions, je me fis la réflexion que les concepteurs de cette présentation avaient inconsciemment voulu, sous prétexte de protéger les panneaux de tout vandalisme, vitrifier ce cri inscrit au coeur du chêne. Je crus impossible de faire une photo valable des panneaux, jusqu'à ce que je m'avise à la longue que grâce à un logiciel de traitement d'images, de retour à mon domicile, les lettres pouvaient resurgir à travers les reflets de la rue, tels des palimpsestes, ces manuscrits qu'on réécrivait par-dessus d'anciens textes grattés et lavés. Palimpsestes que sont peu ou prou toutes ces entreprises de cris, de proclamations de persécutions réelles ou imaginaires, qui s'opèrent sur la chair même du monde, au coeur de la trame immédiate de la vie, chez ceux qui se sont brûlés les ailes et l'âme à trop se frotter à cette vie justement.

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    Le hasard faisait un malin geste, comme un clin d'oeil qui semblait dire que, malgré la présentation calamiteuse (les psychiatres et les laboratoires pharmaceutiques ne font décidément pas de bons esthètes) de ce plancher, son cri continuait de parvenir aux spectateurs malgré tout, mais d'une façon peu immédiate, occulte (merci le logiciel, savante prouesse technologique mise pour le coup au service de la force d'expression brute...).

    Pourquoi ne pas l'avoir exposé au musée tout proche, au Centre d'Etude de l'Expression (http://www.centre-etude-expression.fr/pages/bluerings_ind...), qui se trouve dans  l'enceinte de Ste-Anne, où, si l'on avait décidé d'en faire un musée des expressions brutes (ils possèdent des collections fabuleuses, surtout les plus anciennes, provenant de créateurs ayant oeuvré durant leurs hospitalisations), on pourrait ainsi découvrir dans des conditions idéales (le plancher exposé sans ces atroces vitrages) les fameuses inscriptions de Jeannot. Il est vrai que pour le moment les collections du Centre d'Etude de l'Expression ne sont pas ouvertes au public de façon permanente (cela fonctionne plutôt sur rendez-vous pour des chercheurs et des professionnels). Un "Musée Singer-Polignac" est bien ouvert à côté, mais on n'y montre que des expositions temporaires, utilisant parfois quelques oeuvres provenant du fonds du Centre d'Etudes. A quand une politique plus ambitieuse de ce côté-là? Voilà qui serait un geste plus radical en faveur de la créativité des patients artistes, de la reconnaissance de leur personne. 34cd6b5ea073fa94223675e415d9b72c.jpg

(Photos B.Montpied)

      A noter aussi que le docteur Roux n'a pas du tout insisté sur les quelques mots soulignés en blanc par l'auteur du plancher qui comme par hasard résument l'essentiel du message de Jeannot: "C'est la religion les crimes" et "nous sommes innocents"... Messages qui contiennent quelque parcelle de vérité et ne relèvent pas nécessairement du délire total...

08/07/2007

Les Nefs des Fous (2)

    Je voulais laisser parler les images, mais cela ne suffit pas. On réclame du contexte. Comme si c'était évident dans le cas de créations comme celle de Carlo M. ou de Forestier, patients d'hôpitaux pyschiatriques sur qui les renseignements sont passablement déficitaires ou simplement incomplets. On n'a pas affaire à des artistes du "mainstream" (les grandes avenues de l'art)...comme on dit aux States.

     Mais peu importe, de toute façon, je pense qu'on peut aborder ces oeuvres sans grand besoin d'éléments biographiques, ni même sans le secours d'une connaissance des formes de raisonnements propres aux psychotiques. Je ne l'ai pas cette connaissance (ou n'en ai que de vagues lueurs), cela ne m'empêche pas d'aimer ces oeuvres, de leur trouver un aspect touchant, preuve que quelque chose passe du fond de la folie jusqu'aux non fous et que leur langage se communique, qu'ils utilisent des truchements que nous pouvons comprendre.

     Cela dit, à côté de Carlo M. et de Forestier, il y a aussi les oeuvres de patience (le bateau conservé à Laduz), la poterie du musée du Berry (l'Arche de Noé), les dessins naïfs du simple Poullaouec, le bateau d'un prisonnier oublié. Je les ai associés, ils nouent un dialogue je trouve, je le perçois intuitivement.

     Les bateaux, ça me fait penser d'abord à Charles Trenet, une noix, qu'est-ce qu'il y a, à l'intérieur d'une noix, qu'est-ce qu'on y voit quand elle est fermée? On y voit la nuit en rond, les plaines et les vallons... Un voilier noir aussi... Un micro monde, un microcosme où l'univers se tient paradoxalement dans d'étroites limites. Premier caractère qui séduit l'amateur d'exploit qu'est l'artisan ou le créateur populaire (un exploit, enfermer un microcosme dans une bouteille par exemple). Faire beaucoup avec très peu, voire avec rien. D'où les récupérateurs en tous genres, les pilleurs d'épaves, cher Impertinent... Dans notre petite collection de nefs (j'ai choisi ce terme aussi pour sa briéveté), comme récupérateur cela dit, il n'y aurait guère que Forestier qui dans son asile travaillait avec des chutes de bois glanées. Mais la terre des potiers ne coûtait pas tant. En un minuscule périmètre, on pouvait modeler l'arche de Noé, parfait paradigme du microcosme aux dimensions dilatées puisque la fameuse arche aux proportions somme toute limitées était censée contenir tout le règne animal. Les potiers Lerat et Bedu ne se sont pas arrêtés à un tel détail, sentant bien que la parole divine autorise tous les miracles...

     Avec un peu de peinture, on brosse toute l'escadre anglaise, la rade de Brest, les alentours, on se fait démiurge, rôle d'autant plus apprécié qu'on est (vraisemblablement) un zéro social. On ne sait rien de Poullaouec, mais à le voir sur ces pauvres cartes postales qui sont les seules traces qu'il nous a laissées pour que nous puissions partir à sa recherche, on se dit que celui-là n'avait pas dû faire une bien grande pelote.

     J'ai déjà écrit quelque part que l'océan sert assez bien en métaphore de l'inconscient. Les créateurs populaires qui pratiquent la spontanéité en art, bricolant leur expression avec des matériaux de fortune, avec ce qui se présente sous la main -et c'est ce qui se passe aussi chez le dessinateur "automatique"- ces créateurs sont fascinés par cette quantité d'eau effroyable, mouvante, grouillante d'êtres hypothétiques que l'imagination ne peut s'empêcher de réinventer. L'imagination de la mer on le sait a donné de bien beaux résultats, sirènes, serpents de mer, krakens, neptunes, tritons et j'en passe. Lancer un frêle esquif sur ce bouillon de culture, c'est combien tentant... Il renferme un monde clos sur lui-même que le démiurge investit comme bon lui semble, sans se soucier de la ressemblance chère aux artistes professionnels. Le bateau n'est pas une maquette fidèle à la réalité objective, comme on en voit dans les musées de marine. Il représente avant tout l'émotion qu'on projette en lui. Cette dernière bouscule les formes et les traits, le bateau commence à ressembler à un mirage aux contours changeants. Le bateau de Laduz possède une fragilité dûe à ses matériaux rugueux, peut-être dûe aussi à son manque de réalisme, fragilité que l'on retrouve comme revendiquée, dirait-on presque, à la faveur du détachement des liens de sociabilité, chez des Carlo M. ou des Forestier, et qui font des bateaux inventifs parce que ce sont des bateaux qui permettent à leurs inventeurs sans doute aussi de s'évader, au moins symboliquement. La fragilité est une caractéristique qui fait assez fil rouge pour cette flotille de blog. 

       L'enfance aussi affleure sans cesse dans les oeuvres de l'art populaire, la dimension de jouet est présente à l'évidence, dans le bateau de Laduz comme dans le "Sozialist" de Carlo M., ou le fort navire du prisonnier de St-Paul. L'enfance est aussi dans le regard d'André Bindler lorsqu'il taille son bateau de la même façon qu'il sculpte un sabot. Ne voyait-on pas les enfants faire d'une chaussure une coquille de noix, avant qu'on ne leur fourre entre les doigts des consoles vidéo et des télés?

07/07/2007

Les Nefs des Fous

   Que nos confrères de Belvert et d'Animula nous pardonnent (ça commence comme une prière), mais nous allons devoir leur repomper (pour le premier) et pomper (pour la seconde) certaines images d'esquifs qui traînent dans leurs colonnes (en y ajoutant cependant nos forts grains de sel).

    Notre excuse est d'avoir initié la confrontation bateaux pop/bateaux bruts (sur Belvert, s'entend, et en fournissant déjà les photos), du temps où nous hésitions encore à franchir le Rubicon de la création de blog.

    Nous voudrions maintenant réaliser un petit rassemblement des objets maritimes en question, des bateaux, sur une SEULE page, bien persuadé que le thème contient sûrement d'autres éléments à verser au dossier, mais en permettant aux amateurs de s'instruire des différences à relever, des parallèlismes, de la plus ou moins grande dose de fantaisie appliquée à ces diverses rêveries flottantes: 

Pour commencer, une maquette de bateau anonyme photographié dans le département "Marine populaire" du musée rural des arts populaires de Laduz:

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Puis un bateau sculpté par un créateur rangé dans l'art brut, Auguste Forestier, intitulé "Le Myra" (ancienne collection Docteur Ferdière, photo 1990: Bruno Montpied):
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Restons dans l'art brut en ajoutant ce bateau de Carlo M. (à ne pas confondre avec Carlo Zinelli). Sa maquette s'appelle "Le sozialist" et fait partie des collections du musée de la Waldau près de Berne (photo Paul F.Talman). Nous l'avons extraite du catalogue de l'exposition de 1996 au Centre Culturel Suisse à Paris, "Le Dernier Continent, ou la Waldau, asile de l'art": 
 
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 A présent de l'art fait en prison par un certain Agostini ("fait à la prison St-Paul en 1936", dixit  Animula Vagula qui l'a récemment remis en lumière en allant dénicher sa reproduction dans un vieux numéro de magazine):
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Cela n'est pas loin de Carlo M., non? Peut-être dans une variante plus rigolarde...
Ce qui nous amène à une veine plus enfantine, une poterie populaire trouvée sur la base Joconde (photo Philippe Motte, Zoom Studio) et qui appartient au musée du Berry à Bourges (le même musée qui héberge des Pierre Petit mais ne les montre jamais...). C'est une arche de Noé dûe aux potiers Jean Lerat et Armand Bedu (second quart du XXe siècle):
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Puis, pour ne pas quitter le cher André Bindler (voir note précédente), voici le bateau que le catalogue "Un Art autre, un autre art" (expo organisée par Traces+Signes Sundgau en 1982 à Altkirch en Alsace, présentait, en précisant que sa coque avait été taillée avec la technique du sabotier:
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Art naïf?
Et que penser alors de ce brave Claude Poulllaouec, natif de Plougonvelin dans le Finistère posant devant les escadres anglaises au cours d'un passage en rade de Brest  qu'il a si poétiquement représentées dans les années 1900 (une inscription parle de 1905), et dont, semble-t-il, il ne reste comme traces que d'anciennes et rares cartes postales, du type de celle que je présente ci-dessous?
J'avoue avoir une toute particulière prédilection pour ce type de peinture. Qu'est-elle devenue hélas...:
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Je dois marquer ma gratitude une fois de plus à la collection Humbert du musée de Laduz ainsi qu'à Marie-José Drogou à qui je dois la découverte de Poullaouec dont quelques cartes (il semble qu'il y ait quatre cartes différentes sur ce créateur) sont présentées dans leur département de sculpture populaire.
Agrandissons son coin inférieur droit, on y reconnait le fort Berthomme (avec à côté peut-être la propre maison de Poullaouec, à Trez-Hir, un lieu-dit de par là-bas?), le phare de la Pointe Saint-Mathieu...
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Pour finir, un dernier hommage à ce musée en concluant sur les bateaux en bouteille qu'il ne faudrait pas oublier de citer dans un rassemblement de corpus comme celui que nous tentons ici:
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17/06/2007

Un musée voué aux environnements spontanés aux USA, le John Michael Kohler Arts Center

 "Il s'agit d'un événement, jumelant exposition, publication et colloque. (...) Ils font un travail digne d'intérêt, en sauvegardant des sites, parfois in situ, mais aussi dans leurs locaux."
V. R. (Extrait d'une lettre de correspondante)
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 "Home is Masterpiece, Trash is Treasure, Life is Art"  ("La Maison est Chef-d'oeuvre, L'Ordure est Trésor, La Vie est Art", sous-titrée: "Espaces sublimes et Mondes visionnaires d'artistes vernaculaires").
Cette exposition, la plus grande jamais conçue au John Michael Kohler Arts Center de Sheboygan (près de Chicago aux USA, www.jmkac.org.), s'ouvrira le 24 juin pour durer jusqu'au 6 janvier 2008.
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Il s'agit d'une manifestation monstre semble-t-il, bien en proportion avec le pays qui l'accueille. On y présente sur des milliers de m²  vingt-deux créateurs qui ont transformé l'intérieur et/ou l'extérieur de leurs domiciles et terrains. Des milliers de peintures, de sculptures, de dessins et de photographies provenant de la collection permanente de l' Arts Center (fondé dans les années 70) consacrée exclusivement aux oeuvres de bâtisseurs d'environnements (a priori des bâtisseurs autodidactes populaires).
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Mary Nohl
  
Je souligne ce dernier élément, car nous avons affaire ici à un établissement parfaitement pionnier. En France, très peu de collections ouvertes au public peuvent se comparer à une telle entreprise. Je ne vois guère que le parc d'environnements spontanés de la Fabuloserie, créée par le couple Bourbonnais à Dicy dans l'Yonne, ou le Jardin de la Luna Rossa (quelques pièces) d'Olivier Thiébaut à Caen qui puissent un peu faire écho à cet Arts Center de Sheboygan.
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 David Butler
Avant qu'un musée digne de ce nom se décide en France à se consacrer prioritairement à la conservation et à la sauvegarde de tout ou partie des créations environnementales des "habitants-paysagistes" (terme inventé par Bernard Lassus), des inspirés du bord des routes comme écrivaient Jacques Verroust et Jacques Lacarrière dans les années 70, les poules auront des dents... Car ce genre d'initiatives qui ne privilégie pas plus la sauvegarde dans un bâtiment fermé que la sauvegarde in situ des environnements en péril, comme le fait l'Arts Center de Sheboygan, est tout aussi valable que les sempiternelles déplorations sur le vandalisme que l'on trouve si souvent sur la Toile ou dans les revues spécialisées (et moi mon boulot, c'est d'en parler). Soulignons que les sauvegardes, de plus, paraissent menées dans ce musée avec infiniment de soin et de respect pour les oeuvres, leur contexte d'origine, etc.
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 Emery Blagdon
L'expo du Wisconsin (c'est situé non loin de la frontière avec le Canada) présente des oeuvres rares comme la "Machine à Remède" (Healing Machine) constituée de centaines d'éléments colorés ("effrayants" nous dit-on) en fils, lamelles de fer et bois d'Emery Blagdon, originaire du Nebraska, qui la créa entre 1950 et 1986, ou aussi les plus inévitables statues de Nek Chand (le créateur de Chandigarh en Inde qui est tellement médiatisé dans le monde de l'art brut qu'il paraît le seul étranger à pouvoir exposer partout dans le monde). Moins en relation avec la notion d' "environnements", on trouve les céramiques, peintures, sculptures en os, ainsi que les photographies d'Eugène Von Bruenchenhein qui l'ont déjà grandement fait connaître (en célébrant sa femme qu'il a photographiée sous toutes les coutures, telle une déesse à usage privé). Deux environnements ont été reconstitués également à l'identique au sein de l'exposition.
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Photographie d'Eugène von Bruenchenhein
Ci-dessous, du même, sculpture en os
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Voici la liste de quelques autres autres créateurs présentés: Levi Fisher Ames, Jacob Baker, Loy Bowlin, David Butler, Nick Engelbert, John Ehn, Peter Jodacy, Sam Rodia, Dr. Charles Smith, Fred Smith, Mary Nohl...
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 Peter Jodacy
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 Charles Smith
(Merci à Valérie Rousseau de nous avoir signalé cette exposition ; les photos qui illustrent cette note sont extraites pour Butler, Smith, Jodacy, Nohl, Rodia, Blagdon du site de l'Arts Center de Sheboygan ; celles d'Eugène Von Bruenchenhein viennent, pour la photographie d'EVB du site interestingideas.com et pour la sculpture du musée des Beaux-Arts de Philadelphie, USA )